Littérature

Du cinéma à la peinture : acte de renaissance

Tati par Merveille

par Alphonse Cugier
Publié le 28 août 2020 à 17:29

Jour de fête (1949), Les Vacances de Monsieur Hulot (1953), Mon oncle (1958), Play Time (1967), Trafic (1971)... ces films de Jacques Tati (1907-1982), le meilleur comique français depuis Max Linder, sont inscrits dans la mémoire populaire. Le cinéaste interprète lui-même le facteur qui fait sa tournée à l’américaine lors de la fête foraine dans un village du centre de la France et Monsieur Hulot séjournant à l’Hôtel de la Plage parmi les habitués, estivants modestes et familles nombreuses ou quittant sa pittoresque maison d’un quartier populaire pour distraire son neveu habitant une villa ultramoderne ou perdu dans un labyrinthe de bureaux parisiens, univers réglé par une logique quelque peu absconse et enfin, inventeur d’une voiture-camping révolutionnaire dotée de moult gadgets, qui doit éviter les embûches de la route pour la présenter au salon automobile d’Amsterdam. Les années, les modes passent, Jacques Tati reste d’actualité, malice partagée et silence enjoué.

Monsieur Hulot,une silhouette dégingandée

Un quidam à l’allure pittoresque, badaud curieux reconnaissable avec son imperméable, son pantalon trop court révélant des chaussettes aux rayures horizontales (motif récurrent), doté souvent d’un parapluie qu’il n’ouvre que rarement et d’une pipe qu’il suçote sans la fumer, « périscope horizontal qui hume l’atmosphère pour mieux la capter » comme l’écrit magnifiquement Pierre Richard dans la préface et qui évoque « ce grand corps habité qui déambule sa vie en laissant derrière lui des cascades de rires et des nuages de rêves ». Un Tati penché en avant dont les longues jambes forment un constant angle obtus avec le haut du corps. Il garde ce maintien de diagonale quand il se déplace, précipitation cadencée à grands pas ou valse-hésitation et sautillements... Personnage réservé, maladroit, gaffeur, déclencheur d’époustouflantes catastrophes par distraction. David Merveille est le seul illustrateur qui a obtenu des ayants droit l’autorisation de mettre en images le personnage phare de Jacques Tati. Comme Monsieur Hulot parle très peu et que son corps est l’élément principal de l’expression, posture et gestuelle convoquant l’imaginaire du lecteur- spectateur, l’image fixe préserve les invariants qui fondent le style de Tati dont l’univers ensoleillé est restitué avec raffinement.

Une relance de bonheur

L’auteur, fidèle à la ligne claire des bandes dessinées belges, place l’hommage à un niveau que l’on côtoie rarement, hommage graphique foisonnant, pétillant, empreint d’humour et d’esprit. Au fil des pages, on se balade avec bonheur dans l’album qui enchante l’œil et le souvenir, chaleureux signe d’affection. On est séduit, amusé ou ému par ce regard porté sur cette France des années 50 et 60, regard qui confirme que le sourire n’est pas l’ennemi du sérieux. Fusains, pastels, gouaches, sérigraphies et collages, affiches participent tous à ce transfert esthétique, à cette transposition visuelle. David Merveille élève l’objet livre en objet d’art.

Tati par Merveille,Album cartonné,120 pages en couleurs, 282 x 295 mm, éditions Champaka Brussels / Dupuis, 45 €.