Du plomb dans l’aile

par PIERRE GAUYAT
Publié le 15 octobre 2021 à 13:21

Les éditions Joëlle Losfeld poursuivent leur patient travail de redécouverte de l’œuvre de Jean Meckert avec la publication de La Ville de plomb, qui n’est pas le plus connu de ses romans. Et pour cause, paru en 1949 dans la collection blanche de Gallimard, il n’a jamais été réédité depuis. Il rejoint ainsi les sept volumes des œuvres de Jean Meckert déjà parus dans la collection « Arcanes ».

Ce roman, aussi original que particulier, se déploie dans deux dimensions, la première est celle du Paris de la Libération et de l’après-guerre où des personnages issus des classes populaires se débattent dans une situation économique et sociale difficile. La seconde est insérée dans le corps du roman sous la forme d’un roman d’anticipation écrit par Marcel, l’un des protagonistes du livre. Le titre de ce texte, La Ville de plomb, est, de façon assez énigmatique, celui que Meckert a choisi pour son propre roman… Étienne, le personnage principal, est un jeune travailleur vivant à Belleville, dans le XXe arrondissement de Paris. Il fréquente un groupe d’amis avec lequel il rencontre Gilberte, une jeune secrétaire dont il tombe amoureux. Mais elle est également courtisée par un jeune homme de bonne famille, catholique et MRP, pétri de convictions morales pesantes. Cet affrontement sentimental n’est pas sans rappeler la situation politique fortement clivée de la France de la fin des années 1940.

De Jean Meckert à John Amila

Après bien des hésitations, Gilberte choisit Étienne. Marcel, ami d’Étienne et soupirant secret de Gilberte, rongé par une jalousie destructrice, dénonce le crime que celui-ci a commis sur la personne d’une collègue, plus âgée que lui, qui a tenté de le séduire. Malgré cette révélation, Gilberte reste aux côtés d’Étienne et le dénonciateur (on est dans l’après-guerre et les délateurs n’ont pas bonne presse…), rejeté par tous, se réfugie dans son roman d’anticipation décrivant un Paris en partie détruit par une bombe atomique. Thème pacifiste et anti-nucléaire que l’on retrouvera dans plusieurs œuvres à venir de Jean Meckert, marquant ainsi une sensibilité pacifiste qui ne s’est jamais démentie. La Ville de plomb représente un cap important dans l’œuvre de Jean Meckert car ce roman est écrit juste avant qu’il devienne John Amila à la Série noire où il commence, en 1950, une carrière d’auteur de romans noirs qui lui permettra de rencontrer le succès littéraire qu’il n’était pas parvenu à obtenir dans la collection blanche. Le roman possède la tonalité prolétarienne de ses œuvres précédentes, mais il est aussi bâti autour d’une intrigue criminelle qui annonce les futures Série noire signées Amila, et il contient un roman d’anticipation, reflet des inquiétudes atomiques des débuts de la guerre froide.

Jean Meckert, La Ville de plomb, présenté par Stéfanie Delestré et Hervé Delouche, éditions Joëlle Losfeld, collection Arcanes, 384 pages, 14 €.