Le Sacré Livre de Proutto de Roland Topor

Encore un Topor, une bénédiction

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 19 mai 2022 à 18:34

Une fable caustique sur la crédulité et le pouvoir d’assujettissement, l’humour à l’épreuve du goupillon.

Du féroce et du grinçant proférés sur un ton suave par le narrateur de ce court récit dont la première édition date de 1990 et qui a mûri dans la tête de Topor lorsque Michel Tournier a adapté en 1971 pour le jeune public son roman Vendredi ou les limbes du Pacifique, roman qui, sous le titre de Vendredi ou la vie sauvage, a de suite été adopté par les professeurs de collège. Topor concocte sa propre robinsonnade où l’invraisemblable et le farfelu font preuve d’intelligence.

Un Topor plein d’épices fait feu de tout bois

Naufragé sur une île, un quidam est considéré comme un dieu vivant par la tribu des Zoas qui se suicide collectivement en interprétant les paroles du dieu. Proutto, seul survivant, le prénomme Gisou (prononcez Jésus avec un accent) et devient son souffre-douleur. Il obéit avec empressement à tous ses ordres ou suggestions. « À bon sado, bon maso, ils sont tous les deux contents »… mais les relations du duo vont être perturbées par l’arrivée d’une princesse que Proutto souhaite épouser. L’imagination n’a pas de limite et autorise tous les excès bigrement bienvenus. Les rapports de domination et de soumission volontaire poussée jusqu’aux joies de l’extase font l’objet de soins particulièrement mitonnés. Le jubilatoire et le tragique avancent de conserve et se lisent tout au long de cette déambulation savoureuse de paroles échangées entre Proutto et Gisou : l’art de la conversation faite de prose iconoclaste. Roland Topor distille en douceur cette charge corrosive avec toute l’amabilité requise et une force mordicante mâtinée à bon escient de cocasserie. Il épingle la recherche de servitude, ce reflet grimaçant du conformisme, dynamite l’assoupissante fixité des choses et donne libre cours à son aversion de l’esclavage. Les éditions Wombat, qui ont déjà publié une douzaine d’ouvrages de Topor, nous offrent cette fable sur la crédulité religieuse et le pouvoir. J’aurais aimé qu’elles impriment cet « évangile » de bon aloi, spécialement sur papier bible avec reliure d’agneau pleine peau à destination de tout amateur de résignation.

Éditions Wombat, collection « Les Insensés », postface d’Alexandre Devaux, 80 pages, 13 €.