Burn-out d'Andrija Matic

Entre des nœuds coulants

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 2 avril 2021 à 16:19

Branimir Rihter professeur de littérature du XXe siècle à l’Université privée de Belgrade s’est passionné pour le poète austro-hongrois Georg Trakl (1897-1914) dont les œuvres sombres et glacées paraissent pressentir l’approche des champs d’horreur de la guerre. Empêtré dans ses problèmes conjugaux et ne pouvant supporter l’atmosphère de médiocrité et de corruption qui règne dans cette université à tous les échelons, il s’immole par le feu. Comme on apprend dès le début le choix de Rihter, ce qui importe, c’est la manière dont l’auteur construit sa désespérance croissante et ce, sans que le récit ne distille la moindre once de déprime, mais fait éclater la vérité tragique d’un grotesque institutionnel.

Une vie qui se dévide « … sans aucun sens… »

Une société s’est effondrée, a basculé dans un temps vil. Accompagnant la déferlante néolibérale vouée par essence à la démesure, la Serbie s’est convertie à marche forcée en annexe et dépendance de l’Occident, engendrant perte de sens et acte de décès des valeurs humaines. Rihter se sent enfermé dans le carcan d’un univers délétère, il étouffe parmi des collègues courtisans, hypocrites, cuisant dans leur jus d’arrivistes corrompus et rédigeant des articles affligeants. Quant aux étudiants prétentieux, insolents et futiles, rivés en cours à leur smartphone, ils sont dénués de toute curiosité intellectuelle. Leurs examens ? L’université y pourvoie, dépendante qu’elle est financièrement de leurs parents, cette nouvelle classe pétrie de morgue et cynique. Un sentiment vrai ne parvient même pas à se débattre. Désenchantement, solitude, absence de perspective, malaise qui fermente et le ronge… Rihter s’efface, se retire du monde ou c’est le monde qui s’est retiré de lui. Un condensé de désespoir d’autant plus radical qu’il est incarné sans surcharge dramatique mais dans une sorte d’entre-deux pirouettant entre l’amer et le bouffon décapant. Le roman qui cite mails, SMS, procès verbal du ministère des Affaires intérieures relatif au suicide, transcription d’un débat à la télévision… tire tout son ressort d’une démarche d’un calme foncièrement féroce : l’auteur met à jour les coulisses de ce petit monde mesquin et affairiste qui œuvre à grand renfort de politesses affichées. Cette galerie de personnages plus monstrueux les uns que les autres est complétée par les badauds qui assistent à l’immolation assimilée à un spectacle : certains filment sans intervenir, ni prévenir les pompiers, une mère et sa fille se prennent en selfie, un peintre académique s’intéresse à la composition esthétique que forme Rihter en flammes et le cadre environnant ! Le « paradis » à tombeau ouvert ! Noirceur étincelante.

Burn-out, Andrija Matic, éditions Serge Safran, 220 pages, 21 €.