Métamorphoses de François Schuiten et Claude Renard

Futur antérieur ou futur simple ?

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 24 juin 2022 à 17:51

Les éditions Casterman ont eu l’heureuse idée de republier deux récits rêvés, écrits et dessinés il y a 40 ans, deux histoires qui n’ont pas pris une ride et qui parlent de notre temps, de nos problèmes, légendes tissées des débris de nos rêves et de nos hantises. Cette succession d’images et non de cases régulièrement agencées, était neuve en tout point, déroutante au premier abord dans les années 1980, mais acceptée aujourd’hui par un large public.

Des mondes parallèles crédibles qui nous parlent

Aux médianes de Cymbiola. Dans cette cité, les hommes tentent de voler, périlleuses tentatives comme celle d’Icare. D’autres, fidèles disciples d’un vieillard charismatique, sortent de la cité et s’enfoncent dans le désert à la recherche d’une pyramide abandonnée, en proie aux assauts des intempéries, pour en élucider les aspects énigmatiques et mystérieux. Pour accéder à son sommet détruit et le réparer, ils empruntent un chemin en spirale, forme dynamique du devenir des choses qui est en relation avec leur volonté d’achever ce qui a été commencé. La seconde histoire, Le Rail, est aussi un récit futuriste, qui, lui, est en couleurs. William Davis, un syndicaliste, est de retour après avoir réglé une affaire dans un lieu éloigné. Le bolide automatisé qui file sur un rail tombe inexplicablement en panne dans une lande désertique. Il réalise qu’il est victime d’une machination, la défaillance de l’engin informatisé permet d’éloigner un opposant au pouvoir d’une caste corrompue, sujette à des affrontements pour la maîtrise des ressources énergétiques. William est dans la situation d’un Robinson Crusoé, il est recueilli par une communauté qui vit dans une sorte de décharge de machines et d’appareils hors d’usage, accumulation de rebuts qui rappellent ou annoncent les nôtres.

Mise en page et graphisme souverains

Ces récits « hors du temps », entre science-fiction et réalité depuis advenue, sont le résultat d’un travail à quatre mains : les deux auteurs ont échangé les planches, les ont complétées à tour de rôle, opérant éventuellement des changements. Les images, précieuses par leurs détails, sont saisies par une multiplicité de perspectives qui brisent les cases traditionnelles, basculant dans une logique qui est propre à Schuiten, dont on connaît l’intérêt pour ces espaces ouverts, prémices des futures Cités obscures. Le trait fin ou le gris noir de traits serrés utilisés pour Cymbiola octroient au blanc de la page sa pleine mesure, ce blanc n’est pas un vide mais une réserve, geste suspendu, signe de tous les possibles. On pourrait croire à un inachèvement, le lecteur appréciant que son imagination soit sollicitée, il peut ainsi prendre plusieurs pistes susceptibles de nourrir des récits différents. Une réédition remarquable, ces deux histoires étaient parues en 1979 et 1982 dans Métal hurlant avant d’être publiées par les « Humanoïdes associés ». Quatre décennies plus tard, la magie opère toujours.

Éditions Casterman, 176 pages, 24 x 32 cm, 29 €.