Bande dessinée

Héros de papier et souvenirs en forme de bulles

par Alphonse Cugier
Publié le 21 février 2020 à 18:30

Pour tous les bédéphiles qui n’ont pas pu se rendre à Toulon et visiter l’exposition, son catalogue vient à point nommé pour qu’ils puissent appréhender l’évolution des relations, mieux, des accointances entre le 9ème art et la modernité. Ce terme, souvent claironné à longueur d’ondes et de colonnes, s’accompagne de propos enthousiastes dès lors que ne sont pris en considération que les avancées technologiques. Les années 60 sont placées sous le signe du progrès et sont annonciatrices d’un avenir de réussites et de joies. La BD est au diapason de cet optimisme affiché. C’est le règne de la voiture reine, imposante, puissante, que ce soit chez Tibet (Traquenard au Havre), Franquin (Le Dictateur et le Champignon) ou chez Christin et Mézières (Valerian et Laureline).

Mais aux «  Trente Glorieuses  », appellation quelque peu usurpée, succède une société qui multiplie les restructurations industrielles (concentrations, délocalisations, licenciements et plans dits sociaux), une société où le recours à la drogue, à la violence, est devenu un marqueur incontournable de l’état des lieux. Le pessimisme s’étend, la jeunesse perd espoir... Nombre d’auteurs se réfugient dans le passé : Loustal (Blues, Clichés d’amour), Clerc (La Légende du rock’n’roll), Margerin (Lucien et ses potes dans une banlieue facétieuse et humaine). Si ceux-ci empruntent la voie du sourire, c’est l’inquiétude qui prime chez d’autres. Tanino Liberatore décrit un monde en pleine décrépitude et annonce des futurs funestes, Enki Bilal nous projette dans un avenir apocalyptique, Mézières et Schuiten font reculer les frontières de la planète. Ces artistes sont les précurseurs des lanceurs d’alerte du 21ème siècle.

Des artistes précurseurs des lanceurs d’alerte

Ligne claire sage comme chez Hergé ou imagination débridée associée à une virtuosité graphique, les albums des seizeartistes présentés sont aussi divers qu’originaux. Ils participent à notre réflexion sur notre monde et notre histoire, soit en prenant les problèmes à bras le corps, soit d’une manière décalée ou en les envisageant dans un futur bien proche.

Comme la BD, sacrée officiellement désormais parmi les arts majeurs, réconcilie les générations, chacun peut jeter son dévolu sur ce catalogue d’exposition qui redonne vie à un foisonnement de créations et dont le regard rétrospectif en retrace le spectaculaire parcours, tout en mettant en perspective les liens profonds entre BD et modernité.

« BD & Modernité », éditions courtes et longues, 72 pages, 18 €.