Ils sont fous ces Nordistes !

par Albert LAMMERTYN
Publié le 12 juillet 2019 à 10:24

Hervé Leroy est un boulimique d’humanité. Un collectionneur d’aventuriers. Cette fois, après Femmes d’exception, il saisit Ces gens du Nord qui ont fait l’histoire. À vous maintenant, puisque c’est l’été, de sucer comme un bonbon d’évasion ce qu’il a patiemment croqué.

Hervé Leroy ne se lasse pas de ses histoires du Nord, pour le plus grand plaisir de son éditeur Hubert Delobette et celui de ses lecteurs.
© DR

Longtemps chroniqueur sportif à La Voix du Nord, Hervé Leroy a le goût de la précision, du détail. Ses récits tiennent en quatre ou cinq pages, illustrées de documents et photos noir et blanc, pages fruitées de faits, juteuses d’anecdotes comme lorsqu’il raconte le suicide au gaz d’un Roger Salengro élégant jusqu’à la mort : « Excuse-moi pour ce désagrément », laisse écrit sur la table le socialiste lillois pour la femme de ménage...
Si l’auteur se permet une digression sur Paris-Roubaix en évoquant Raymond Devos, un des deux personnages du livre qu’il a rencontrés (en l’occurrence plus en chair qu’en os !), c’est parce que Devos fut le parrain, en 1996, du centenaire de la « reine des classiques ». Mais c’est aussi, encore, à cause de sa faim pour la chose sportive (pages sur Michel Bernard, Michel Jazy, Raymond Kopa).
Les plats de la petite histoire passent dans ceux de la grande au gré des thèmes retenus. Le Nord a bien travaillé. Traversée de la Manche par Louis Blériot. Invention du bikini, du naturisme, des Renseignements généraux (Vidocq), de la 2 CV, même de la télévision (Constantin Senlecq). Il y a aussi le béton armé de François Hennebique, le sucre extrait de la betterave par Crespel-Delisse.
Hervé Leroy chemine auprès de ses personnages, un peu comme s’il leur parlait. De même que pour Devos, il a pu puiser dans sa rencontre, en avril 2000, avec Michel Butor, natif de Mons-en-Barœul, pour en faire un des sujets du livre.
Pour «  l’équilibre » de l’ensemble, il varie les domaines d’activité, sélectionnant des peintres, sculpteurs, écrivains, musiciens (Georges Delerue), mais aussi des sportifs (tiens, tiens) ou des industriels, et regrettant « avec le recul » d’avoir trop peu abordé le cinéma (« Louis Malle aurait pu figurer dans le bouquin »).

De Thorez à Pétain…

Martha Desrumaux, ouvrière textile au destin exceptionnel. Une des cinquante personnalités choisies par Hervé Leroy.

L’équilibre est soigné également dans le champ politique, car l’auteur déplore la perte du pluralisme et donc « le manque de diversité de la presse quotidienne ». D’où son choix du « fils du peuple » Maurice Thorez « à qui le Front populaire doit beaucoup », ou encore, histoire de caresser la sensibilité démocrate-chrétienne, celui de l’abbé Lemire, le créateur des jardins ouvriers. On s’offre une balade avec le « précurseur de l’écologie politique » René Dumont, ou un parcours plus grave du côté de la guerre avec Charles de Gaulle et Charles Delestraint. Le premier à travers surtout le prisme de l’enfance : « Ce qui m’a souvent réconforté depuis le 18 juin 1940, c’est la conviction que maman aurait été toujours et en tout avec moi », écrit peu avant sa mort le Général à sa sœur Marie-Agnès. Delestraint, lui, est dépeint en héroïque résistant qu’il fut, le fameux Vidal, chef de l’Armée secrète, méprisant jusqu’au bout envers ses bourreaux nazis.
Un lyrisme de gauche transpire quand ressuscitent des noms comme celui de Pierre Degeyter : le jour de sa mort, dans un simple entrefilet, Le Réveil du Nord (journal socialiste) met toujours en doute la paternité de L’Internationale. Lyrisme encore avec Martha Desrumaux (déjà admirée dans Femmes d’exception), ou avec « l’insaisissable » Charles Debarge, mineur à Courrières puis résistant loué par Louis Aragon.
Mais Hervé Leroy n’a pas voulu occulter des personnalités dont le choix pouvait être « plus difficile ». Faidherbe ou Pétain par exemple. Le premier fut un homme d’armée qui choisit la République, « même s’il peut être surtout vu comme colonialiste aujourd’hui ». Le second est traité sous l’angle du rapport De Gaulle/Pétain. Autre exemple, plus ancien : le général Dumourier, vainqueur de Valmy avant de se retourner contre la Révolution.
Pour notre croqueur d’âmes, l’aventure court au coin de la rue, longtemps après que les hommes et femmes d’exception ont disparu. Cinquante portraits composent son ouvrage aux airs de roman. Le tout extrêmement bien ficelé. Vous sortez de cette lecture plus riche, avec une démangeaison de partage.

Ces gens du Nord qui ont fait l’histoire, par Hervé Leroy, Le Papillon Rouge, 264 pages, 19,90 €.