Irréfutable essai de successologie de Lydie Salvayre

Insignes honneurs plein d’épices

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 6 février 2023 à 11:21

« Je m’voyais déjà en haut de l’affiche/en dix fois plus gros que n’importe qui/mon nom s’étalait », chantait Aznavour en 1960. Il y fut, il le mérita. Par contre, d’autres y accédèrent, très loin d’en être dignes. Lydie Salvayre passe en revue leurs stratégies pour parvenir à la célébrité et être l’objet de louanges, de flatteries, certaines serviles. Elle commence par donner une définition du mot succès, reléguant les dictionnaires et encyclopédies homologués au magasin des accessoires pour continuer avec un « dîner de têtes » à la Prévert, « ceux qui brossent à reluire ». La première victime de ce jeu de massacre méchamment et sympathiquement jubilatoire est une héroïne, une bookstagrameuse dont la bêtise, ayant atteint des sommets, grimpe encore, entraînant dans son vertige à la hausse une tapée de suiveurs. Elle poursuit avec « l’homme influent », fait étalage d’un échantillon d’écrivains (du confirmé au pamphlétaire), croque l’homme politique qui se pique de littérature et offre à sa joyeuse vindicte les critiques littéraires (le consciencieux, le tueur en série…). Puis, généreuse, elle prodigue, en toute aménité, des conseils et rappelle les règles pour décrocher le succès : le paraître éclipse le talent, l’esbroufe est préférable au savoir et la logorrhée à la réserve et à la modération.

Le génie d’un parti pris de bon aloi

Toujours en train de s’ébrouer, de caracoler, Lydie Salvayre réussit à être excessive sans provoquer de rejet, elle ne pantoufle pas ses piques. C’est une rafle, hôte satisfaite du bon tour qu’elle joue, elle ratisse large, met à jour les coulisses et toutes les tares sous les politesses extrêmes de cette société qui se targue d’être mondaine. Au pamphlet, elle ajoute sans honte, ni remords, la délation systématique des fourberies, des petites et grandes manigances, ce prurit qui contamine nombre d’individus qui croient penser et devenir des sommités. Pour cet essai, aux alambics de la distillation proustienne qu’elle apprécie, elle préfère les alcools vitriolés, faisant ainsi s’exhaler les frelatés. La force d’impact de ces portraits à charge ne s’abolit pas. C’est dans un excès permanent au second degré que réside le principe de cohérence. Armée d’une lame acérée, d’un style à cran d’arrêt, elle s’adonne « gaillardement » aux plaisirs que procurent ces hécatombes tous azimuts. C’est égal, il y a là, dans ces diatribes, jouissifs éreintements des représentations de l’obséquiosité et de l’arrivisme, une manière de chef-d’œuvre qui touche à la perfection.

Éditions du Seuil, 176 pages, 17,50 €.