Un pays inconnu dévasté par une guerre mystérieuse : un jeune homme et sa mère ne veulent pas quitter leur vallée. Le narrateur écrit des lettres à Boris qui réside dans une ville située au-delà des montagnes. Il rapporte l’obéissance aveugle qu’exigent les hommes au crâne rasé et la terreur qu’ils imposent. Sa mère parle la langue des militaires : originaire de leur pays, elle est à la frontière entre les victimes et les oppresseurs. Un monde précipité dans un état de confusion extrême, de violences et de mort généralisée (maisons pillées, poissons crevés flottant, nuées d’oiseaux au sol). Boris lui envoie des photographies où il « tente d’aller vers une autre réalité ». Comment survivre au chaos, résister à cet arbitraire fasciste qui rappelle dictatures et occupations récentes. Dans ce territoire de désolation, naît « un amour interdit, romantique, enfiévré » (Napalm en guerre mais aussi brûlure au cœur et au corps). Il ne reste à Boris et au narrateur que la fuite vers un ailleurs, dur désir de durer. Antagonismes, langues ennemies… l’opposition binaire implacable concerne aussi le récit que révèlent les titres de chapitres : aux « invasion, fléau, tombes » répondent « murmure, promesse, infini », mais qu’advient-il en cas de changement d’attitude ? Cette réalité cauchemardesque est saisie par un récit qui s’invente continuellement : pléiade d’images en cascades, effusion et torsage des sentiments. Un récit fragmenté, aux chapitres très contractés, entrecoupé de souvenirs d’enfance, de lettres, de photos, de visions oniriques et parsemé d’éclats de poésie qui réverbèrent alentour. Une voix rare à la fois soyeuse et enflammée affermit cette dystopie inquiétante, aux allures d’actualité. Avec cette première œuvre, assurément politique, l’auteur a composé un objet brûlant, articulation d’espaces variés où le roman ne s’aventure guère. Le lecteur découvre du neuf, de l’inattendu et voit s’affirmer l’étoffe d’un écrivain.
Éditions La Croisée, 232 pages, 19 €.