Comme des bêtes de Violaine Bérot

L’Être anonyme

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 23 avril 2021 à 15:50

Un village isolé dans les Pyrénées, une paroi rocheuse abrupte, une grotte difficilement accessible appelée la « grotte aux fées ». La légende colporte des faits inquiétants, des fées mauvaises y garderaient les bébés qu’elles enlèvent. C’est aux abords de ce lieu que vit Mariette en compagnie de son fils muet, presque adulte, une force de la nature. Surnommé l’Ours, il a une peur viscérale des humains, par contre il vit en totale symbiose avec les animaux. Un jour, un randonneur aperçoit dans un pré proche de la maison de Mariette une petite fille entièrement nue qui joue avec un âne. Il prévient la police. Le roman est composé de paragraphes séparés les uns des autres. Peu à peu, on comprend, en fonction de ce qui est dit et de la manière dont cela est dit qu’il s’agit de réponses données à la première personne à des policiers ou gendarmes par des « témoins » qui se succèdent : voisins, chasseurs, facteur, instituteur, anciens camarades de classe... chacun avec son parler propre, son rythme propre (une réussite d’écriture) et dont on cerne la personnalité. Une vérité multiple, une réalité réfractée par ces témoignages. Quant à la légende des enfants enlevés, les fées interviennent tel un chœur qui, sous la forme de petits poèmes alternant avec les interrogatoires, vient confondre les récits propagés dans la vallée.

Tissage de voix

La mère a refusé ce que les institutions (éducation, médecine) proposaient à son fils qui ne peut physiquement supporter d’être mis, littéralement enfermé, entre les murs d’une ville. L’Ours ne se sent pleinement à l’aise qu’au contact de la nature (sa montagne, sa forêt, ses prés) et de tout ce qui y vit. Les moments de complicité, de véritable communion entre lui et les vaches, chèvres et tous les animaux qu’il soigne et guérit, dilatent le temps. Un Eden minuscule en matière d’espace (un coin de montagne) et majuscule quant au sentiment de plénitude qu’il dégage. On est amené à comparer l’Ours au Victor de l’Aveyron capturé en 1800, au film L’Enfant sauvage de François Truffaut qui interprétait le professeur Itard et qui a réussi à extraire Victor de sa primitive animalité en lui enseignant le langage. Émouvante accession à l’humanité... mais Victor n’a jamais cessé de se tourner vers les fenêtres pour regarder dehors. Qu’est-ce qu’un monde habitable ?