Des terrils du Nord en Palestine occupée

La saga des frères Rubinstein

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 22 janvier 2021 à 17:12

Il est rare qu’un scénariste de bande dessinée ancre son récit au cœur du « Pays noir ». Luc Brunschwig s’y emploie en fixant le début de l’épopée des frères Rubinstein dans une ville minière du Nord.

Nous sommes en 1927. Leurs parents ont quitté leur shtetl de Pologne et l’antisémitisme ambiant pour ouvrir une boutique de tailleur à proximité des corons où des centaines de leurs compatriotes exercent le métier de mineurs. Salomon, le fils aîné, hâbleur et bagarreur, croque la vie à pleines dents. Il est passionné de cinéma et amoureux. Son frère Moïse, plus réservé, est doué pour les études. Il rêve de devenir ingénieur des Mines. L’Académie « Anatole-Lambertin », du nom du très paternaliste fondateur de la compagnie minière du cru, est censée lui ouvrir les portes d’une prometteuse carrière.

Espoir brisé

Alors qu’il s’attend à devenir « major de sa promotion de sixième », Moïse est devancé par Louis Lambertin qui doit son succès au seul fait d’être le petit-fils d’Anatole. Sous l’œil complice du curé et résigné de son instituteur, le destin de Moïse se brise sur le mur des intérêts de classe d’une caste de propriétaires. Peu de temps après, la boutique de ses parents est incendiée par des « ouvriers catholiques polonais qui ne portent pas les “youpins” dans leur cœur ». À l’époque, Narodowiec, le quotidien démocrate-chrétien en langue polonaise basé à Lens, ne compare-t-il pas ces artisans et marchands juifs du Nord à des « parasites » ? Salomon et Moïse sont contraints de fuir. Pris au piège des soubresauts d’une période tragique, leur incroyable odyssée les mènera alors des cités du Nord en Californie, de la région parisienne au camp d’extermination de Sobibor, puis jusqu’en Palestine...

Israël 1948

S’inspirant de la relation passionnelle qu’il entretient avec son propre frère, Luc Brunschwig ambitionnait ainsi « construire une histoire de fratrie ». Juif alsacien, il prétend tout autant détricoter le mythe du « juif forcément riche » en mettant en scène des coreligionnaires d’extraction modeste. Quoi de plus naturel alors que de restituer l’atmosphère d’un « Pays noir », terreau privilégié de la fracture sociale et de « confrontations entre grandes fortunes et gens humbles » ? Deux tomes de cette saga sont déjà parus. Le 3e est attendu pour juin 2021. Six ou sept devraient suivre, « avec un retour dans le Nord dès le tome 4 », sourit Luc Brunschwig. Et ce dernier de préciser que les aventures de Salomon et Moïse « prendront fin en... 1948 avec la création d’Israël ». Un État hébreu qui lui inspire cette réflexion : « Hitler n’a pas réussi sa mission d’éradiquer les Juifs, mais j’ai le sentiment qu’il a tout de même anéanti un certain esprit juif. Ce peuple extrêmement pacifique et cultivé, s’est doté, en Israël, de l’une des plus puissantes armées du monde. On a transformé des intellectuels en guerriers. C’est une victoire contre l’esprit juif. »

Les frères Rubinstein, de Luc Brunschwig (scénariste), Étienne Le Roux (dessinateur) et Loïc Chevallier (coloriste). Tomes 1 (Shabbat Shalom) et 2 (Le coiffeur de Sobibor), éditions Delcourt, 15,95 €.

(Photo : Luc Brunschwig (à gauche) avec le dessinateur Étienne Le Roux. © Collection privée Luc Brunschwig)