Le Châtiment de Prométhée et autres fariboles de Karel Capek

La vérité de l’ironie et du burlesque

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 7 décembre 2020 à 12:27

Des écrivains tchèques du début du XXe siècle, nous connaissons bien sûr Kafka et Jaroslav Hasek dont le personnage du brave soldat Chveik résiste à la bureaucratie et à la machine militaire, broyeuses d’hommes. Il faut y ajouter Karel Capek (1890-1938) qui, retiré dans un village au sud de Prague, a dit au revoir au monde avant que les nazis ne l’appréhendent. En 1921, il publie R. U. R., pièce de théâtre de SF qui dénonce la transformation de l’ouvrier en robot (terme qu’il a inventé). En 1936, ce sera La guerre des salamandres, conte philosophique de science et politique fiction qui narre la prise de pouvoir et la main mise totalitaire par des salamandres géantes : les revendications d’Hitler sont ainsi désignées. Alors que Capek entretient l’espoir d’une Europe des libertés, la France et la Grande-Bretagne en décident autrement : à la suite des accords de Munich, Hitler s’empare de la Tchécoslovaquie.

Quid des fariboles ?

Ces 29 récits dialogués, chroniques parues dans la presse de 1920 à 1938 ne sont point des propos vains mais des éclats de fantaisie et de malice, de dérision et de loufoque qui relèvent de la lucidité et de l’intelligence politiques et que Capek injecte à doses massives dans le tissu de l’Histoire. Il entraîne le lecteur dans un tourbillon romanesque étourdissant réunissant des têtes d’affiches bibliques et historiques, mêlant le vrai et l’imaginaire, tissant finement ces « destins » de « Grands Hommes » dans un entrelac d’intrigues apocryphes qui mettent à jour volonté forcenée d’anéantir l’ennemi, impérialisme, cynisme… À chacun sa geste : Lazare, Pilate, Hamlet, Don Juan et autres. Prométhée est accusé d’avoir volé le feu aux dieux et de l’avoir donné aux hommes, acte de lèse divinité qui, selon les puissances divines, ne peut que troubler l’ordre établi. Archimède refuse de se mettre au service de Rome qui veut dominer le monde. Chaque conquête créant de nouvelles frontières qu’il faut défendre, la meilleure solution selon Alexandre le Grand consiste à se saisir des territoires voisins et ainsi de suite. Attila, barbare absolu ? Les Huns n’étaient pas plus cruels que les autres peuples dits barbares : la légende construite après sa mort traduit la peur de l’autre. Quant à Napoléon, il se souvient des jeux de son enfance dont il était le maître incontesté. Chaque récit sous une allure de totale spontanéité, doté de sa propre politesse de style, suggère les enjeux politiques sans avoir l’air d’y toucher. Un vrai régal : Karel Capek, un féru d’humour, qualité subversive par excellence.

Le Châtiment de Prométhée et autres fariboles, Karel Capek, éditions Noir sur Blanc, 192 pages, 18 €.