Le Neveu d’Anchise de Maryline Desbiolles

La vie n’est pas un bonheur solitaire

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 22 janvier 2021 à 17:16

Vingt ans après Anchise, prix Femina 1999 (Seuil), retour dans l’arrière-pays niçois.

Aubin était enfant quand son grand-oncle Anchise, un apiculteur s’est immolé par le feu, ne pouvant accepter la mort de son grand amour Blanche. Le garçon a joué dans cette maison abandonnée qui, rasée, a laissé place à une déchetterie ultramoderne. Un monde disparaît, le monde change, béton et lotissements. Devenu adolescent, Aubin plein de fougue court à perdre haleine dans les collines environnantes. Il laisse voguer son imagination, rêve qu’il est à la poursuite d’un gros chien noir, celui de sa tante, un bestiau sociable mais avec quelque chose d’inquiétant.

L’ouvre-monde 

Aubin rencontre Adel, le gardien de la déchetterie, un garçon différent des villageois. Tout en restant fortement attaché aux lieux de son enfance, Aubin découvre en sa compagnie le jazz, le trompettiste Chet Baker, musique douce, cool qui va devenir le cœur palpitant du récit, matrice d’un nouvel élan qui le pousse à essayer de jouer de la trompette, trouvée dans la maison d’Anchise. Adel est son premier ailleurs, le rêve en partance, l’émoi amoureux et le « désir fou de faire quelque chose de sa vie ». Aubin lui fait connaître sa famille dont les langues se délient à son contact. Mémoire ravivée… des fantômes surgissent, le père d’Anchise mort au Chemin des Dames en 1917, les tirailleurs algériens, sénégalais, kanaks déchiquetés, la « peur, la rage, le refus des poilus qui chantent l’Internationale »… la guerre encore, les corps emmêlés poussés dans des fosses où « s’engouffre le XXe siècle », une autre guerre qui ne dit pas son nom, celle d’Algérie. Et un aujourd’hui : sur un muret, Aubin voit une douzaine de personnes comme une « douzaine d’oiseaux posés sur un fil, oiseaux migrateurs bien entendu » et deux voitures de police garées près d’elles. Aubin, Adel et le monde… Un adolescent réalise d’où il vient, ce qu’il est et ce qu’il veut : inventer l’avenir autrement, sans trop de nostalgie, tout en gardant des souvenirs à pleines bouffées. Maryline Desbiolles élargit l’espace du muret à la vallée de la Roya. Les mots épousent les images que l’imagination d’Aubin libère et celles qui l’assaillent. Une sorte d’oralité en majesté, une avancée cadencée sans précipitation avec pauses et relances. Un mouvement permanent, emprise du jazz sur la narration, l’image-musique portée à son plein feu.

Le Neveu d’Anchise, Maryline Desbiolles, éditions du Seuil, Fiction & Cie, 144 pages, 16 €.

(Photo : © Margot Montigny)