Serge Safran éditeur, 208 pages, 18,90 €
La Printanière de Michel Quint

La vie n‘est pas un bonheur solitaire

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 9 septembre 2022 à 12:51

«  Un jour tu verras, on se rencontrera… Faut suivre les conseils des chansons » Dès les premières lignes, le lecteur plonge au cœur même de la ville de Lille. Mais ce n’est pas l’atmosphère habituelle. Cette journée de juin 2019, lorsque Étienne Vancauwenberghe, la petite cinquantaine, professeur donnant des cours à domicile, descend du Mongy en gare de Lille Flandres, il suffoque, les gaz lacrymogènes s’étendent jusqu’au parvis de la gare et au-delà. Il se retrouve en pleine manifestation de gilets jaunes bloqués par des escadrons de CRS. Les rues adjacentes ou plus éloignées, sont sillonnées par des hordes noires cagoulées. Ayant réussi à rejoindre la rue Royale, proche de son domicile, il est agressé par un black bloc armé d’une barre de fer. À peine a-t-il imaginé sa tête fracassée qu’une jeune femme décoche, avec une rapidité et une dextérité hors normes, quelques coups de poing qui envoient l’agresseur au « tapis ». Le temps qu’il réalise, elle a disparu. Et ironie du sort, il doit commenter à un lycéen le poème Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui de Mallarmé.

Impair, passe et manque… un parcours fléché

Étienne, au vu du style du KO et des chaussures de ring de celle qu’il appelle la Printanière, «  boxeuse de charme et de force  », décide de la chercher dans tous les clubs de boxe de Lille et de la région. Il découvre le milieu, des gens passionnés, chaleureux, une cure de jouvence. Dès lors, il lui est impossible d’exister solitaire, autonome, obligé qu’il est de s’extraire de la façade d’indifférence qu’il s’était construite, de cette avancée des jours où à l’accoutumée rien n’arrivait. Au Ring lillois, il rencontre Simone, la mère adoptive de cette Printanière qui veut connaître sa mère biologique. Avec l’aide de Simone, de Leïla et d’autres femmes, Étienne poursuit sa recherche. Il est entraîné sans savoir qu’il s’engage dans une aventure intime à laquelle il ne s’attendait pas et qui va le replonger dans son passé.

La fête de l’écriture

Ce roman de l’essentiel et de l’ordinaire de la vie alterne détachement, autodérision, tendresse, fantaisie, gravité, verve… Les phrases se succèdent comme jetées en coups brefs, hautes en couleurs et en rythme, certaines argotiques, un bouillonnement de styles mettant en valeur ce quelque chose de physique, une tonicité, un côté « oreille » qui permet à l’occasion une truculence gentiment grivoise. Ces perles qui brillent certes éphémères mais réjouissantes, n’évacuent pas les événements dramatiques, tragiques même, dont les mots provoquent une sensation de cendre dans la bouche et de vide en soi. Des « parenthèses » s’ouvrent dans le récit, références à foison au cinéma (Million Dollar Baby de Clint Eastwood), à la chanson (Brel, Billie Holiday, Mouloudji), à la littérature, tout particulièrement Modiano (pour sa quête du passé et pour son roman Rue de boutiques obscures qui, dédicacé, clôt la recherche). Histoire de gens ordinaires racontée comme on s’en remet à un ami, histoire qui passe du singulier au pluriel, de l’intime au monde alentour, celui des mouvements sociaux et de l’attention portée à l’enfance et aux mères solitaires.