Laurent Petitmangin, romancier social et sensible

Littérature

par JEROME LEROY
Publié le 13 novembre 2020 à 13:50

Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin fait parler un père dans une Lorraine oubliée et frappée de plein fouet par une crise qui dure depuis deux générations.

Ce qu’il faut de nuit est le premier roman de Laurent Petitmangin, 55 ans, et nouveau venu sur la scène littéraire. Avant même sa sortie, les droits de Ce qu’il faut de nuit étaient déjà vendus à plusieurs éditeurs étrangers, sans doute parce que ce livre donne une des visions les plus justes qui soit des effets délétères de la désindustrialisation sur des régions entières.

Petite musique poignante et calme

Le roman se déroule en Lorraine mais il aurait aussi bien pu se passer chez nous, quelque part entre Valenciennes et Lens, dans l’ancien bassin minier, ou du côté de Denain après la fermeture d’Usinor au début des années quatre-vingt. Deux générations ont passé et les gens qui vivent là-bas, oubliés de tous comme on oublie une mauvaise action, évoluent dans des villes et des paysages transformés en théâtres d’ombres. Si Laurent Petitmangin, un moment sélectionné par le jury du prix Femina, en est à son premier livre publié, on peut néanmoins parier sans trop de risques qu’il a déjà derrière lui un certain nombre de textes dans ses tiroirs. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire dans Ce qu’il faut de nuit un passage comme celui-ci qui est une assez bonne illustration de la petite musique poignante et calme que joue Petitmangin pour nous raconter une histoire dure sans jamais monter le ton, mais en usant d’une forme de douceur paradoxale : « Août, c’est le meilleur mois dans notre coin. La saison des mirabelles. La lumière vers les cinq heures de l’après-midi est la plus belle qu’on peut voir de toute l’année. Dorée, puissante, sucrée et pourtant pleine de fraîcheur. » Celui qui parle ainsi est un père de famille. Un veuf. Un ouvrier à la SNCF et un militant socialiste qui fait encore semblant d’y croire parce qu’être socialiste, à une époque maintenant lointaine, pour ces hommes-là, cela a été une manière d’espérance en un monde meilleur, une façon d’exprimer avec une certitude calme sa fierté d’appartenir à une classe. Maintenant, dans la section désertée, on se contente de « faire comme si » et on se retrouve de temps à autre pour manger une part de gâteau et faire le deuil jamais terminé d’une époque.

Roman sur la paternité

Ce père, qui est le narrateur, élève seul ses deux fils. Il y a l’aîné, Fus, qui joue au foot tous les dimanche et que son père accompagne au stade. Et puis il y a Gillou, le cadet. Lui, il réussit très bien à l’école.D’ailleurs, il va surement faire une classe préparatoire dans un lycée parisien. Ce ne sera pas évident mais il y a Jérémy. Jérémy était un copain de Fus qui a suivi ce chemin là et qui milite toujours à la section. Un des rares jeunes. Jérémy et Fus, ce n’est plus ce que c’était. Ils n’ont pas eu le même destin scolaire et aujourd’hui, cela suffit à créer des fossés infranchissables, même par l’amitié. Le père observe tout ça. Il dit sans pathos tout ce que représente d’amour, de peur et de joie partagées, - en allant supporter les match du FC Metz ou en partant en camping au Luxembourg -, de faire de ses fils des hommes bien, malgré l’absence béante de la mère.Mais voilà que Fus commence à traîner avec des fachos, des crânes rasés, des petits gars comme lui qui militent à l’extrême droite. Oh, ils ne vont pas casser de l’Arabe, non, ils forment plutôt une sorte d’amicale qui retape des maisons, aide les petits vieux. Mais pour le père, c’est impardonnable. Il ne chasse pas Fus, mais une espèce de guerre froide règne dans la maison. Un accord tacite entre le père et Fus permet de laisser Gillou à l’écart de tout ça. Les études du gamin d’abord. Et d’ailleurs Fus n’a pas changé. Il est toujours une présence efficace dans la maison et c’est lui qui se démène le plus pour installer son frère à Paris dans une chambre d’étudiant. Jusqu’à ce que la tragédie ait lieu, banale et violente.

Fierté blessée

La force de Ce qu’il faut de nuit est dans son absence de manichéisme. Le lire comme un roman politique ne suffit pas, et de loin, à en épuiser la richesse. C’est avant tout un roman sur ce que l’époque fait aux hommes, sur la manière dont ils refusent, chacun à leur manière, une fatalité qui ferait d’eux des invisibles. L’engagement de Fus, le désir de réussir de Gillou et la dignité légèrement désespérée du père sont les différentes expressions de cette fierté blessée.Laurent Petitmangin ne veut rien démontrer parce que pour lui, dans Ce qu’il faut de nuit, montrer suffit. C’est là le signe d’un véritable écrivain.

Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin, La Manufacture de Livres, août 2020, 188 pages, 16,90 €.