Le cinéma et la vie

par Alphonse Cugier
Publié le 23 août 2019 à 19:25

Un adolescent (Patrice Robin né en 1953) regardait à la télévision « Cinq colonnes à la Une » et quittait un bourg des Deux-Sèvres pour l’Afghanistan, la Chine, la Yougoslavie, le Brésil, le Japon... Au début de 1999, le Groupement de cinéma projette une rétrospective des films de Robert Kramer, impliqué dans la vie politique (combat en faveur d’une réelle égalité des droits civiques pour les Noirs et contre l’agression américaine au Vietnam). Patrice Robin qui le rencontre pour en établir le programme avait découvert dans les films du réalisateur américain la part d’engagement qu’il voulait concrétiser en parcourant le monde pour en témoigner.

Visions du réel

Points de départ et Trajets , ces ouvrages parus en 2001 ont saisi l’ampleur de l’œuvre de Kramer qui agit comme un miroir de l’itinéraire de Patrice Robin. Walk the walk en relation avec la fin de son couple, Doc’s Kingdom avec son arrivée dans le port du Havre qui « dialogue avec celui de Lisbonne » qu’un docteur, quittant les Etats-Unis, rejoignait pour y travailler dans un hôpital, Route One USA , carnet de route de New York à Miami (rencontre d’anonymes des zones urbaines et rurales) mêlant l’Histoire, le social et le politique. Ces films vécus dans l’instant comme s’il venait de les visionner, font revenir au présent les rêves du « partir » de l’écrivain et lui rappelle ses contacts chaleureux avec les ouvriers des chantiers navals et les militants d’associations culturelles, puis, lors de sa venue dans le Nord, ses ateliers d’écriture auprès d’adolescents ayant abandonné l’école.

Le parti pris de la vie

Patrice Robin tresse ensemble les films de Kramer, ses propres lectures, ses souvenirs et leurs engagements respectifs. Un véritable transfert s’opère entre le cinéaste et l’auteur qui tissent et retissent les liens sociaux, réinsufflent le vivre-ensemble, réconcilient le doute et l’espoir. Robert Kramer a conforté le regard de l’auteur : une manière de se mêler au monde, à la variété des visages et pouvoir ainsi créer des films et des romans justifiant leur ambition de cinéaste et d’écrivain. Une même approche de « gens de peu » car ce que ceux-ci disent n’intéresse nullement la classe dirigeante, toutes les politiques publiques laissant en friche leurs capacités d’expression qui pourraient accroître leur pouvoir d’agir.

Patrice Robin leur est resté fidèle politiquement bien qu’étant éloigné culturellement de leur milieu, il peut prendre à son compte ce dit Annie Ernaux : « Je suis traversée par les gens, leur existence » . Il dit aussi « Je » mais ce « je » n’a rien à voir avec l’étalage de soi, cette tyrannie du paraître qui alimente Facebook, Twitter... Il y a dans cette avancée de l’intime une simplicité d’écriture, un retrait du style au profit d’un pacte de vérité qui offre au lecteur ce que la réalité a imprimé en lui.

•Éditions POL, 124 pages, 13 €