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Le loufoque au bout du pinceau

Les peintures humoresques d’Olivier O. Olivier

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 3 janvier 2020 à 18:09

L’humour s’accorde parfaitement avec l’abrupt de la caricature et du dessin de presse, l’idée surgissant à l’impromptu. Mais est-il soluble dans la peinture qui exige du temps (couleurs, contrastes et camaïeux) ? Olivier O. Olivier (1931-2011) qui fut l’ami de Topor, Arrabal, Jodorowsky qui prônent dérision et goût de l’étrange, réussit cette greffe en combinant personnages, objets, décors relevant d’univers variés : l’imaginaire en partance, libéré sans condition.

Florilège d’échappées oniriques

Alors que Topor cultive le cauchemardesque, Olivier ouvre les paupières du rêve. Il réinvente la corrida, un orchestre de violonistes et pianistes, le cirque et ses gymnastes d’une façon insolite où l’enjoué, le cocasse et le fantastique se marient au poétique. Voir-entendre, la peinture libère les sons. Le Grand Concert : en contre-plongée, sur fond de salle d’opéra, dans douze mains, paumes ouvertes, des cordes de violons sont tendues entre la poignée et l’index, le pouce tenant l’archet. Du piano du Soliste et la mer jaillit une immense vague, masse impétueuse, la puissance musicale dans sa matérialité. Un archet glisse sur une chevelure soulevée et interprète Le Menuet des poux.

L’étrangeté feutrée est au rendez-vous avec Les Chasses de naphtaline où chaque doigt d’une main est surmonté d’un petit filet à papillons et dans ces paysages à l’horizon incurvé qui semblent s’enrouler sur eux-mêmes, occasionnant un doux vertige. La tauromachie, elle, ne se relève pas en raison de la nature des participants. Lors des corridas, le noir taureau qui rappelle la puissance et le sang affronte des matadors et des picadors, bonhommes de neige ! Les aficionados dans les gradins ont la même allure débonnaire (Arènes glacées). Le matador, le Maestro, autoportrait de l’artiste en habit de lumière, cape aux couleurs de fleurs sur les épaules, coiffé de la toque noire de rigueur, est, délicieux sacrilège, attifé du nez rouge du clown. En lieu et place de la muleta et de l’épée, la palette et le pinceau du peintre. La paire de charentaises qui glisse délicatement sur le sol enneigé de l’arène finit joliment de l’achever. Ailleurs ce sont tortues et escargots qui entrent en piste, tels des gymnastes, grimpés les uns sur les autres, exécutant des figures d’équilibre.

Un doux trouble nous gagne

C‘est tout un dépaysement de la vision qui nous est proposé. Les assemblages d’Olivier procurent une sorte de bonheur calme et enjoué, une fraîcheur mâtinée de cocasse, une douce et merveilleuse dinguerie. Tout un monde vu au travers d’une lentille d’une pertinente irrévérence, d’autant plus accessible que l’artiste est resté fidèle à la figuration. Le rendu impeccable et élégant de sa peinture, associé à une pratique volontairement traditionnelle des formes, renforce l’efficacité espiègle et mutine de ces épatantes aberrations. Deux cents saynètes au traitement décalé, que des surprises.

Olivier O. Olivier, Peintures, Textes : Philippe Garnier, Sarah Olivier et Olivier O. Olivier, Les Cahiers Dessinés, 272 pages, 49 €.