Les Gens de Muzo

Miroir, mon beau miroir

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 14 mai 2021 à 12:26 Mise à jour le 18 mai 2021

Muzo, peintre, graveur et dessinateur a une passion toute particulière pour l’espèce humaine, pour ses semblables scrutés avec acuité. Il croque le détail symptomatique des gens d’en face, d’à côté, ceux qu’il connaît, ceux qu’il croise, voit comment ils s’aiment, se querellent, se débrouillent, comment ils se coincent... Muzo brocarde ses pairs, se divertit de leur comportement à la maison, dans la rue, dans le métro et se gausse de leurs manies, bizarreries, complexes, obsessions, anxiétés et petitesses. Il ne pratique pas le tableau de mœurs en douceur, il ratisse large, c’est une rafle : vie conjugale quand l’eau de rose tourne en eau-forte, vie de bureau, management et gestion du personnel, place de la femme dans la société et en entreprise, reflets grimaçants d’un machisme ambiant, loisirs et hyperconsommation délirante. Il plante sa plume dans le monde de la finance, de ceux qui ont un coffre-fort à la place du cœur et qui nous repeignent le monde à leur façon. Pas de messes basses mais l’assaut permanent : coups de crayon rapides, dessins en noir et blanc, en couleurs pastel ou intenses et sonores, personnages taillés à coups de serpe, coup d’estoc et de taille, Muzo fonce avec la sûreté d’un maître d’armes. Il ne cherche pas à faire la morale, se contente de mettre la vérité sous le nez, sans pitié mais sans haine. Franchissant tous les degrés de la satire, tantôt acidulée, tantôt vitriolée, il bouscule la logique mais aussi le « bon goût », réussit à être excessif sans pour autant déraper vers ces agrégats franchouillards lourds d’une connivence usée. Le lecteur regarde, lit les paroles, les légendes et l’indulgence qu’il se porte lui permet de dire que ce n’est pas lui mais les autres... leitmotiv connu.

Dragées au poivre

E finita la comedia... épinglée la comédie humaine à l’instar du Dîner de têtes de Prévert, « ceux qui majusculent... ceux qui mamellent la France... », un filon inépuisable. L’humour se fait noir dans la série de dessins Comment aimeriez-vous mourir ? Des odyssées funèbres égayées ou farcies de dérision, d’ironie acérée, où le malaise fermente, mais où le rire qui se décante ne contamine pas le drame, les registres burlesque et tragique marchant de concert. Rire caustique, saynètes sardoniques ou goguenardes, plongées dans l’amer... le fond de l’air effraie : entre réalité et transgression de cette réalité, une vision ressuscitant la cruauté et l’angoisse de notre temps... Muzo, un virtuose du point de vue, plein d’épices.

Les Gens, Muzo, éditions Les Cahiers Dessinés, 160 pages, 21 €.

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Muzo