© Hermance Triay (avril 2021)
Combats et métamorphoses d’une femme d’Édouard Louis

Nœuds de vies, très serrés, enfin déliés

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 30 avril 2021 à 17:24

Cela commence par une photo de sa mère âgée de vingt ans, autoportrait photographié que l’auteur ne connaissait pas, une Monique légèrement souriante (photo placée à la fin du livre, deux autres y figurent). «  J’avais oublié, dit Édouard Louis, qu’elle avait été libre avant ma naissance - heureuse ? » Il se souvenait d’elle, cantonnée à n’être que mère au foyer, aux tâches domestiques, usée par la pauvreté et la nécessité, empâtée, laminée, humiliée par la violence de son mari et avoue avoir été, malgré lui, aussi l’un des acteurs de cette destruction. Pourtant, un jour à 45 ans, elle rompt avec cet enfermement, se réinvente, rencontre un homme qui la respecte et s’installe à Paris. Édouard Louis retrouve dans la décision de sa mère son propre parcours relaté dans En finir avec Eddy Bellegueule (2014) : il était brimé, raillé à l’école et par son père parce qu’il n’était pas assez viril, « perçu comme un pédé ». Ce père, le dos broyé par une charge à l’usine, réduit au RSA, devenu alcoolique, brutal, il a appris à le connaître : Qui a tué mon père (2018) est un véritable réquisitoire contre la politique des présidents Chirac, Sarkozy et Hollande et de leurs ministres du Travail et de la Santé. Le père revient dans ce « roman  » de 2021, comme s’il fallait évoquer cette filiation pour parler de la mère. Celle-ci renaît auréolée d’une lumière nouvelle, échappe à son « destin » et construit sa liberté. Édouard Louis affirme que la littérature n’a pas comme seule fonction d’illustrer la réalité mais se doit d’expliquer et de comprendre ce qui habite les êtres et les fait agir. Il empoigne le réel et ne le lâche plus, s’investit totalement dans ce récit monologue, écrit à la première personne et dans lequel il s’adresse à sa mère en lui disant « tu » (Je ne voulais pas que tu saches...), pour, ensuite rappeler des événements en disant « elle ». Des phrases en caractères gras ou en italique alternant avec la typographie en romain soulignent à la fois des phrases nouvelles dans la bouche de sa mère, certains faits, des souhaits ou des aveux. Une voix-écriture dépouillée à l’extrême, drue, concentrée en des raccourcis d’une profonde pénétration, retrouvant le souffle du vécu quotidien. Un hymne à la vie, une tendresse, un amour filial irradiant... merveilleux renversement des choses. On s’aperçoit de quelle manière le goût de vivre parvient à élire et élever une existence.

Mots clés :

Edouard Louis