Contretemps, un livre et un CD

Poésie et musique médiévales

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 31 décembre 2020 à 10:53 Mise à jour le 30 décembre 2020

Retrouvailles avec les troubadours et célébration de la vitalité de la lyrique amoureuse occitane.

De la complicité entre l’historien Patrick Boucheron, les musiciens Bruno Allary, fondateur de la Compagnie Rassegna, et Isabelle Courroy, spécialiste des flûtes obliques kaval, est née une composition littéraire et musicale autour de poèmes, de manuscrits et de musiques du XII au XIVe siècle. Il ne s’agit nullement de rester le regard tourné vers le passé mais au contraire de saisir ce qui jaillit du temps jadis et qui s’éparpille en centaines d’éclats dans le chatoiement des enluminures. Ferveur à la vie dans l’entrelacement des sons et des voix comme autant de lumières et de couleurs. Le poétique croise et se heurte au religieux avec audace, enjouement et irrévérence. Notes jetées sur des manuscrits…Voyez avec quelle douceur elles viennent vers vous, enrobées dans leur gangue de solitude, si désireuses de faire sonner à nos oreilles l’éclat du neuf.

La fin’ amor

Le troubadour invite l’amour à se dire et être chanté, la vénération de la dame élue le conduit à sublimer son désir : élection, effusion, érotique platonique, demande d’amour dans le vide de toute réponse. Si on connaît le nom de 460 troubadours et leurs 2 500 chansons, Patrick Boucheron en élit deux, Guillaume IX d’Aquitaine et Raimbaut d’Orange. Du premier, seigneur guerrier, la légende n’a retenu que ses écrits et chants quelque peu badins, des jeux d’amour, maîtresses et amours de rêve. Les femmes troubadours, les trobairitz, pèsent d’un poids modeste, une petite vingtaine, le centième de vers créés par les hommes. La Comtesse de Die n’a guère envie de rester cantonnée à chanter l’amour, occupation qu’elle qualifie de jeu gratuit : à l’adoration platonique, elle préfère une réalité vécue. Le cri de détresse et de colère de Rutebeuf surgit quand le chant courtois s’éteint, écrasé par la Croisade contre les Albigeois. Il est un des premiers à parler des misères, des difficultés de la vie, de ses amitiés et rancœurs : verve et fantaisie se colorent de satire, de critique sociale. Un poète relu par Verlaine, rêvé par Rimbaud, réinventé par Léo Ferré (l’une des musiques du CD en accompagne l’adaptation). Bruno Allary brasse des musiques populaires de la Méditerranée, d’époques, de timbres et de rythmes divers. Écoutez, ça vient de loin. Regardez, ça va vers vous.

Contretemps , Patrick Boucheron, Bruno Allary, Isabelle Courroy, éditions du Seuil, Fiction & Cie, 62 pages. CD, 15 « chapitres-plages », 21 €.