Le Gascon extravagant d’Onésime Somain de Claireville (1637)

Porter un masque pour parler librement de tout

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 4 juillet 2020 à 12:15 Mise à jour le 6 juillet 2020

Personnages hauts en couleur, foisonnement de péripéties, on prend plaisir à être capté par cet allègre vagabondage narratif.

D’emblée le narrateur se trouve nez à nez avec des personnages hors du commun. Une jeune femme comme égarée et endiablée vocifère à la cantonade. Un cavalier, le Gascon en question, petite noblesse désargentée, auquel on accole une réputation de fanfaron et de hâbleur. Un vieil ermite affirme que la femme est possédée et veut l’exorciser, provoquant les railleries du Gascon qui n’adhère pas à ce diagnostic manquant de rigueur et de méthode (Descartes est tout proche).

Le récit pétille et flambe, emprunte les routes de l’imaginaire pour mieux dresser des ponts entre les aventures du Gascon, le tableau des mœurs. L’auteur croque attitudes et comportements (vaniteux, arrogants, pandores corrompus, collecteur d’impôt abusif...), pratique à l’occasion le contre-pied : gente féminine perfide ou au contraire franche et loyale. Il convie le lecteur à porter attention aux forces religieuses et politiques et se décharge sur son « héros » des risques encourus par son franc-parler.

Tout en ruinant les préjugés relatifs aux Gascons et aux protestants, le romancier s’inspire de l’actualité de sa ville natale de Loudun, une affaire de possession et d’exorcisme au couvent des Ursulines : convulsions, propos blasphématoires de religieuses accusant le curé Urbain Grandier d’être l’instigateur des maléfices – il sera conduit au bûcher en 1634 (les cinéphiles ont en mémoire Mère Jeanne des Anges de Kawalerowicz et Les Diables de Ken Russell). L’auteur discrédite, narquois ou corrosif, ceux qui invoquent des causes surnaturelles. La fantaisie et l’excentricité, arts du déguisement : confessant son habileté à tromper son monde, il instaure avec ses lecteurs une véritable complicité, peut ainsi les inciter à une réflexion critique et à se méfier de l’art oratoire de l’ermite, dévot fanatique, et du catholicisme agressif sévissant en France et à Loudun en particulier, pôle de résistance à la Réforme catholique et à la royauté.

En écho à l’Histoire, une mission morale

Si certaines allusions transparentes à l’époque risquent de nous échapper, les annotations et la généreuse introduction, à la fois érudite et de lecture aisée, de Frank Greiner, professeur de Lettres Modernes à Lille-III, viennent éclairer le propos, tout en replaçant ce Gascon extravagant dans un corpus littéraire bien vivant. Un livre écrit il y a près de quatre siècles s’adresse au lecteur d’aujourd’hui en tant que déclencheur de questions, d’idées en lien avec sa propre réalité, surtout au niveau du langage capable de toutes les performances, coups d’épate pour mieux subjuguer et abuser (dans le livre, il est « pluriel et chamarré »). Nous ne pouvons que rendre grâce à cette réédition et la savourer à sa juste valeur, éminente.

Le Gascon extravagant, Onésime Somain de Claireville, classiques Garnier, bibliothèque du XVIIème siècle, 472 pages.