Fille ou garçon ? Chronique de la vie d’un enfant-soldat de Pierre Duterte

Revenir du fond de l’horreur

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 24 juin 2022 à 17:49

Les premières pages prennent d’emblée le lecteur à la gorge, le précipitant dans un monde de violence qui semble naturel, une sorte de travail que l’on accomplit parce qu’il a été imposé, inculqué brutalement ou insidieusement et intériorisé. Les enfants-soldats (300 000 dans le monde, acteurs de conflits) ne cherchant nullement à comprendre les raisons de leurs actes, des enfants privés d’enfance, interdits d’innocence. Embrigadement, engrenage : des armes, pas de larmes.

De la nuit noire à l’aube claire

Pierre Duterte, médecin psychothérapeute, a, durant plus de 25 ans, « animé et dirigé des centres de soins pour victimes d’atteintes graves aux droits humains ». Avec Fille ou garçon ?, il nous fait « partager l’histoire d’un enfant-soldat qui, guidé par une volonté acharnée, souhaite survivre ». Parvenir à ressusciter, s’extraire d’un lacis de sujétions, se relever de cette ordinaire abomination, de cet apprentissage de la haine froidement programmée… prélude à une vie retrouvée. L’auteur s’emploie à réparer ce que les médias, certes n’ont pas ignoré, mais dont ils n’ont pas mesuré l’ampleur et les dévastations qu’elles ont provoquées. Traumatismes, ravages irrémédiables, incessant harcèlement du souvenir qui taraude la santé mentale. Comment s’arracher à un avenir ruiné d’avance, miné par ce qui pourrait devenir une haine de soi ?

Une écriture salvatrice

Pierre Duterte place le lecteur face à sa conscience, sans passion, sans jugement, ni apitoiement. Ce qui fait la puissance d’impact de cette « confession-auscultation » pleine d’empathie, c’est le plain-pied de la narration qui transmet dans l’instant la violence prodiguée avec la sécheresse des mâchoires d’un piège et dont nous éprouvons l’éclat sans l’avoir approché. Réalisme qui répugne au voyeurisme par son prodige d’incarnation. Une narration servie par la magie d’une plume qui ne fléchit pas devant l’horreur. L’auteur lui oppose la beauté de la nature, des paysages, des couleurs des vêtements, des senteurs et saveurs. Langue lumineuse qui compose un hymne à la vie et à la liberté d’une insolente et bénéfique splendeur. Ce contraste fait la part entre l’inhumanité inoculée ou infligée et l’humanité qui renaît en évitant « qu’une petite fille soit tuée » et en donnant « vie à un être vivant ». Cet enfant-soldat « quitte cet état d’automate obéissant, docile qui se croyait libre et libérateur ».

Éditions Baudelaire, 336 pages, 25 €.