Ulysse Nobody, une BD de Gérard Mordillat et Sébastien Gnaedig

Signal d’alerte en phase avec la campagne électorale

« Une fable politique : toute ressemblance avec la réalité ne saurait être fortuite »

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 8 avril 2022 à 13:06

Ulysse Nobody, un acteur de seconde zone, vient d’être sèchement remercié de Radio Plus pour une prestation déprimante, joliment calamiteuse, en direct la veille de Noël. Aucune indemnité, les finances à plat, quatre mois de loyer de retard, il est aux abois. Son agent n’arrive pas à lui décrocher le moindre petit rôle à la radio, à la télé, au théâtre. Une rencontre change sa destinée. Fabio, un ancien collègue à Radio Plus, désormais versé dans la « com » vient à son aide en le flattant quelque peu. En réalité, Fabio milite au PFF, le Parti Fasciste Français dirigé par Maréchal qui se présente à l’élection présidentielle. Lui ayant avancé une grosse somme d’argent, il lui propose d’intervenir sur la scène du Zénith de Lille devant un parterre de dix mille personnes, en majorité des convaincus. Être à nouveau sous la lumière des projecteurs, être quelqu’un… Il se lance et c’est sous un déluge d’acclamations qu’il termine son discours par des vibrants « vive le PFF, vive la France ! ». L’enthousiasme de la foule le galvanise, le requinque. Il est dorénavant sûr de lui, il n’est plus Nobody, c’est-à-dire « Personne » comme l’Ulysse d’Homère qui s’est présenté ainsi pour échapper au cyclope. Et quand Maréchal, le chef du parti le propulse aux législatives, il sait que sa vie a pris le bon tournant. Maréchal a vu clair, cet Ulysse est le maillon idéal : son aspect débonnaire, paterne, son bagou simplet et familier sont autant d’atouts pour décrocher des voix, une vertu pour le populisme. Son parcours rappelle celui d’un comédien qui lors de la présidentielle de 2017 s’est donné corps et âme au Front national.

Insignes honneurs et soldes de toute compte, de tout conte

Ce destin nous est conté en ces temps d’air vicié, délétère, de surenchère de discours nauséeux, xénophobes, réactionnaires, discours repris par des candidats virant vers un néo-fascisme tout en se gardant de le nommer. Des électeurs en perte de repères s’y retrouvent. L’extrême droite joue sur les rancœurs, les colères, sur le sentiment d’être rabaissé, déchu, stratégie insidieuse d’embrigadement. Dans ce contexte, Gérard Mordillat se risque-t-il à paraître excessif en allant droit au but, sans détour et en mettant en lumière les mécanismes de captation d’Ulysse Nobody, enrôlé puis à nouveau remercié. Il ne pratique pas le tableau de ces mœurs politiciennes en douceur et préfère, sans honte ni remords, la délation légitimée et intéressée des méthodes du PFF. Aux alambics de la distillation douce que certains croient objective, il opte pour des alcools forts, jubilatoirement vitriolés, ce qui oblige les alcools frelatés et les miasmes du PFF à s’exhaler de suite. Sébastien Gnaedig a dessiné un Monsieur Personne tout en rondeur, au visage sans traits marqués qui en font le parfait Monsieur N’importe qui. Le graphisme simple, ligne claire et le découpage régulier des cases soutiennent l’avancée funeste comme inexorable d’Ulysse Nobody. Les coloristes Francesca et Christian Durieux sont parvenus, en jouant sur la légèreté et une sorte de clarté délicate, à être en adéquation avec l’imprégnation progressive des idées.

Éditions Futuropolis, 144 pages, 20 x 27, 2 cm, 20 €.