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Salon du livre d’Arras

Sophie Divry reçoit le prix Amila-Meckert pour Cinq mains coupées

par PIERRE GAUYAT
Publié le 3 mai 2021 à 14:46

Le Salon du livre d’expression populaire et de critique sociale, qui se déroule ordinairement le 1er mai à Arras, n’aura pas lieu cette année en raison de la crise sanitaire. Mais l’association Colères du présent propose un salon du livre en ligne sur son site internet. De même, le prix Amila-Meckert, remis chaque année à l’occasion du Salon, a été décerné à Sophie Divry, pour Cinq mains coupées. Dans ce texte, à la confluence du reportage, de l’atelier d’écriture et du roman, l’autrice donne la parole à ceux qui en sont souvent privés et qui se sont retrouvés dans le mouvement des Gilets jaunes qui a occupé le devant de la scène sociale pendant plus d’un an. Ce mouvement, qui a fortement secoué nos gouvernants, a aussi connu une répression inégalée depuis des décennies. Il n’est pas bon de foutre la trouille aux puissants. Cette répression a provoqué des milliers d’arrestations et de blessés, dont 24 éborgnés et cinq mains arrachées. C’est à ces cinq manifestants mutilés par des grenades GLI-F4, classifiées comme armes de guerre et chargées de 25 grammes de TNT, un puissant explosif, que Sophie Divry consacre plus particulièrement son livre. Tous les cinq sont des hommes, âgés de 22 à 53 ans ; ils sont ouvriers, apprenti, étudiant. Ils se sont mobilisés à Paris, à Tours, à Bordeaux, contre la politique antisociale de Macron et ont été mutilés par ces grenades, tirées par la police, qui arrachent une main ou un pied lorsqu’elles explosent. Sophie Divry les a rencontrés un par un et a recueilli leur parole pour la restituer dans ce court texte où il n’y a pas un mot d’elle, sauf une postface de quelques pages dans laquelle elle explique son projet et sa démarche. Les cinq blessés racontent leur mutilation, les longs mois d’hôpital, le difficile réapprentissage de la vie quotidienne avec une main en moins. Et le sentiment d’abandon de la part de l’État qui semble considérer qu’ils ont bien cherché ce qui leur est arrivé. Pour rendre la parole de ces cinq mutilés, l’autrice procède par touche et par mélange. Les fragments de témoignages s’emboîtent les uns aux autres de façon chronologique sans que l’on puisse distinguer les témoins, ce qui donne d’autant plus de force à cette parole individuelle qui devient dès lors collective, émanant d’un même corps, le corps social martyrisé par le pouvoir et ceux dont il sert les intérêts.

Cinq mains coupées, Sophie Divry, éditions du Seuil, 128 pages, 14 €.