Nouvel album de Tardi

Sous les pavés, les images

par PIERRE GAUYAT
Publié le 29 décembre 2021 à 17:23

Jacques Tardi nous a habitués à ses romans graphiques autobiographiques. Avec Élise et les nouveaux partisans, il retrace l’histoire de sa femme, Dominique Grange, qui a écrit le scénario, et, à travers elle, celle de toute une génération qui rêvait de Révolution dans l’après Mai 68.

À 18 ans, bac en poche, Élise, sorte de double de Dominique Grange, jeune fille de bonne famille lyonnaise, «  monte » à Paris à la fin des années cinquante pour tenter sa chance dans la chanson et sur les planches. Elle connaît un succès d’estime mais les événements de Mai 68 lui font rompre avec sa vie d’artiste pour se jeter corps et âme dans le combat politique au côté des maoïstes de la Gauche prolétarienne (GP). Elle est de tous les combats, de toutes les luttes, de toutes les manifs. Son engagement militant est total, absolu, quasi religieux et la mène au cœur de la violence politique, celle des gauchistes qui ne rechignent pas devant une bonne castagne, celle des flics qui ont la matraque lourde ou encore celle des nazillons d’Occident qui ont la barre de fer leste. Mais comme le note avec pertinence l’auteur de polar Jean-Patrick Manchette, dans Nada, « le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à cons ». Cet album illustre d’une certaine façon cet éclairant adage.

© Éditions Delcourt, 2021 - Grange, Tardi

Le fond de l’air était rouge

Élise paie son engagement au prix fort, grièvement brûlée dans un accident dont on ignore s’il a lieu lors de la préparation d’un attentat, elle connaît la prison pendant de longues semaines, les rigueurs de la clandestinité, le travail en usine lorsqu’elle est « établie » comme ouvrière dans une papeterie à Nice ; mais elle sait pouvoir compter sur une longue chaîne de solidarité qui lui permet d’échapper à la police ou de vivre quand elle n’a plus de travail. Cette bande dessinée décrit une époque et une génération qui a cru pouvoir renverser le vieux monde alors qu’elle lui a seulement permis de se régénérer pour assurer sa survie. « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change » disait Tomasi di Lampedusa dans Le Guépard. Malgré tout, ces mouvements subversifs ont contribué à ébranler les vieilles sociétés occidentales en imposant des thèmes comme le féminisme, la lutte antiraciste, ou en dénonçant l’autorité verticale du pouvoir mais aussi la structure familiale patriarcale. N’en déplaise à certains, nous bénéficions encore de ce décorsetage de la société.

Une période pas si glorieuse

Le titre de la BD, Élise et les nouveaux partisans, fait évidemment référence au roman de Claire Etcherelli, Élise ou la vraie vie, un livre qui entre en résonance avec celui-ci notamment dans la dénonciation de l’épouvantable racisme qui régnait dans ces années-là. Et les « nouveaux partisans » renvoient clairement au titre de la chanson de Dominique Grange qui fut l’hymne des maos de la GP et de bon nombre de militants d’extrême gauche dans les années 1970. Cet album de Tardi contribue encore à rappeler la violence du colonialisme français qui tuait en Algérie mais aussi à Paris lors de la manifestation du FLN du 17 octobre 1961 ou avec le massacre de Charonne où neuf militants communistes périrent sous les coups de la police. La lutte contre cette sale guerre a elle aussi contribué à politiser toute une génération, celle qui s’est retrouvée sur les barricades de Mai. Ce roman graphique raconte deux décennies d’une période que l’on nomme les « Trente glorieuses » mais qui ne le furent pas tant que cela.

© Éditions Delcourt, 2021 - Grange, Tardi

Élise et les nouveaux partisans, Dominique Grange, Tardi, éditions Delcourt, 176 pages, 24,95 €.