Masques & Théâtre

Superposition du masque au visage ?

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 22 janvier 2021 à 17:19

Confrontation-dialogue entre les créations de Werner Strub (1935-2012) et les éditions rares, trésors du patrimoine, de la Fondation Martin-Bodmer de Cologny-Genève.

Les collégiens découvrent souvent dans leur manuel de littérature une illustration de masques de la tragédie et de la comédie provenant de Pompéi. Depuis l’Antiquité grecque, les masques (plusieurs dizaines) que portaient les acteurs devaient être vus de loin car, correspondant à des archétypes, ils étaient connus des spectateurs (guerrier, esclave, vieillard, jeune éphèbe, serviteur). Le recours à un code vestimentaire précis et certains détails servaient à désigner la condition sociale et les traits de caractère (colère, vanité, bonhomie). L’ouvrage collectif met judicieusement en présence les créations d’un « magicien des masques » et des incunables (premières éditions des tragédies grecques), des éditions originales rares (Shakespeare, Corneille, Molière), des livres d’art illustrés et des manuscrits autographes (Musset, Büchner), issus de la collection de Martin Bodmer (1899-1971).

Des face-à-face riches de potentialités

Les créations de Werner Strub ont fasciné les metteurs en scène de théâtre et d’opéra (Benno Besson, Roger Planchon, Giorgio Strehler), des chorégraphes (Maurice Béjart). C’est dans la capitale helvétique qu’il a œuvré à l’unisson avec le Théâtre de Carouge et la Comédie de Genève. Les masques sont passés de l’opacité à la transparence, du cuir (Antigone de Sophocle) à l’association cuir-tissu (La Tempête de Shakespeare, Le Médecin malgré lui de Molière) et ajouts de plumes (spectre de Hamlet, L’Oiseau vert d’après Carlo Gozzi - celui de la couverture) et enfin à des réseaux denses et enchevêtrés de fils blancs rehaussés de fils de couleurs vives (La Flûte enchantée de Mozart). Parmi ceux reproduits dans le catalogue en pleine page sur un fond noir qui les met en valeur, seuls ceux du Père Ubu, « fourbe et vil » et de la Mère Ubu, croqués par Alfred Jarry, se détachent sur la page blanche comme s’ils voulaient s’offrir une virginité. Comédiens et metteurs en scène ont collaboré avec l’artiste quant à la transcription scénique du texte, l’apport matériel et métaphorique du masque. La quinzaine de contributeurs les décrivent en relation avec les pièces, le jeu des comédiens, le décor et les mettent en perspective historique. On émerge émerveillé de cet ouvrage, instrument d’investigation éclairant et convaincant, qui nous fait pénétrer dans un espace difficilement accessible, celui d’une des richesses du patrimoine. Une belle moisson de découvertes, créations et éditions rares, chacune assortie de pistes d’analyses stimulantes, réflexion ouverte sur ce qui permet d’irriguer l’acte théâtral, ses enjeux et d’explorer les conditions de son exercice.

Masques & Théâtre, sous la direction de Jacques Berchtold et Anne-Catherine Sutermeister, éditions Noir sur Blanc et Fondation Martin-Bodmer, 256 pages, 100 illustrations, 39 €. Exposition à la Fondation Martin-Bodmer (Cologny/Genève) jusqu’au 11 avril 2021.