Les vies de Maria de Hanna Krall

Sur les sentiers de la mémoire

par Alphonse Cugier
Publié le 31 juillet 2020 à 16:47

Dans la Pologne occupée par les Allemands, un couple accepte d’être parrain d’une fillette juive, le baptême pouvant lui éviter la mort. Au dernier moment, profondément catholique, il se rétracte, ne voulant pas mentir à l’église sous le regard de Dieu.La petite fille et sa mère se retrouvent dans la rue... Disparues, cachées ailleurs, dénoncées ? Cette histoire véridique, Hanna Krall la raconte au cinéaste Krzysztof Kieslowski qui n’y croit pas, l’adapte à sa façon pour l’un de ses Dix commandements, Le Décalogue 8, Tu ne mentiras pas, en 1988. Hanna Krall décide de rétablir la vérité. Elle réussit à se procurer l’adresse du couple, mais tous deux sont décédés. La voisine lui apprend que le mari était officier de la Sécurité publique après la guerre. Dans les archives, le dossier mentionne qu’il s’occupait de l’expulsion des familles allemandes installées sur des territoires annexés et qu’il s’est lié d’amitié avec un peintre, un comte allemand dont la fille connaissait... laquelle avait... et ainsi de suite, gens célèbres, anonymes... De fil en aiguille, l’enquête se poursuit. Le livre est publié en Pologne en 2011, des lecteurs annoncent à Hanna Krall qu’ils peuvent lui fournir des renseignements complémentaires. Elle ajoute deux parties en 2017 en espérant ainsi réveiller la mémoire enfouie d’autres personnes...

Procès verbal de destins recomposés

Des pistes s’ouvrent : écouter, donner à entendre tous ceux, dans leur diversité, qu’ils aient été résistants,délateurs, victimes, rescapés, justes. Des bribes de passé se profilent : archives, conversations, témoignages, lettres... traces diffuses qui s’estompent, mémoires défaillantes, ajourées, lacunaires. Le livre se présente comme un reportage elliptique, sinueux, un kaléidoscope dont les éclats dispersés laissent apparaître des manques, des silences que l’auteure ne cherche pas à combler. Elle restitue toutes ces voix sans juger, sans broder : « Plus la tragédie est grande, moins il faut de mots », tel est son credo. D’où cette écriture minimaliste, sans fioritures qui, pourtant, n’est jamais la déposition froide d’un temps passé. Cette histoire qui la concerne (elle a vécu cachée par une famille polonaise), Hanna Krall la porte, tente d’approcher le réel et dresse ainsi un tableau du sort des Juifs en Pologne pendant l’occupation allemande et après la guerre. Chemin faisant, elle évoque les attaques des maquisards, la délivrance de prisonniers... Les vies de Maria est une sorte de « procès verbal », compte rendu strict, fidèle aux informations recueillies, mis à distance par l’écriture et pourtant si proche par l’emprise qu’il exerce sur le lecteur qui va le passer au tamis de l’interprétation.