Buzzelli. Histoires courtes, illustrations et satires

Tableaux d’horreur gratifiés de beautés féminines

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 3 septembre 2021 à 12:49

À l’occasion de la parution en 2018 du premier volume des œuvres complètes de Guido Buzzelli, Frédéric Pajak rappelait dans la préface que « les lecteurs des années 70 crurent voir une météorite dégringoler dans le ciel plutôt sage de la bande dessinée ». Le volume 3 vient de paraître, tout aussi ravageur. Des visions surgissent… attrait des silhouettes féminines, mélange d’effroi, d’onirisme, de fantastique et de grotesque. Observateur acide au regard aiguisé, Buzzelli repousse les limites de la censure, provoque le scandale chez les « gens bien » avec ses dessins attentatoires, selon eux, à la morale et aux bonnes mœurs.

Le sexe en flagrants débits

Buzzelli déploie son univers tous azimuts : scènes de vampirisme, stupre en plein embouteillage sur la route, galipettes sur la plage et au passage à la douane, festivités dénudées du Nouvel An et du Carnaval, joyeusetés lascives au cimetière et au cours de virées champêtres… Tous les lieux fréquentés sont autant de tréteaux propices aux délices et délires sexuels : scènes de copulations assaisonnées de supplices, d’ignominies ou farcies de bouffonnerie. Luxure, lubricité, turpitude : l’artiste dynamite les hypocrisies, les faux-semblants, la civilité affichée, tous les simulacres. Il prend la bonne société au collet pour lui faire rendre gorge et donne libre cours au spectacle depuis que le chromosome mâle s’est arrogé tous les droits. Derrière les fantasmes, les obsessions, c’est la soif de domination qui règne : femmes passives, assujetties, consentantes, femmes chosifiées, ainsi imaginées par la gent masculine. La violence est banalisée, donnée en spectacle : l’horreur s’offre à tous les étages d’un immeuble et nous concerne : un couple âgé regarde depuis sa fenêtre le lecteur-voyeur qui ne rate aucune des scènes intimes des habitants. Des violences conjugales, il en est dans toutes les classes sociales, de plus elles sont appréciées : un homme, complet élégant, balance indifférent son épouse ou sa maîtresse par la fenêtre, un couple voisin a suspendu ses ébats conjugaux pour ne rien perdre de cette séquence qui le réjouit.

À foison, à profusion

Une multitude de saynètes agglutinées, prolifération de chairs nues, saturent chaque planche, univers comme mu par une logique de contagion infinie. Orgie graphique d’une séduction agressive, démence admirable… cela fuse de partout. Scènes comme projetées dans le champ de notre regard. Buzzelli met à jour les coulisses de la société, toutes les tares, il ne pratique pas le tableau de mœurs en douceur : aux alambics de la distillation de suavités, il préfère les alcools forts, vitriolés. Un cocktail hautement corrosif d’une maîtrise formelle accomplie, un chambardement de l’image saisie dans une bousculade d’angles de vue, accompagnés d’une dimension paradoxale, celle d’un classicisme qui va de pair avec l’âpre, le cru, le sulfureux, autant de brûlots. L’opposition du concept masculin/féminin ne peut être réduit à un simple vis-à-vis de deux termes, elle est le signe de la sauvegarde d’une hiérarchie et de l’ordre d’une subordination.

Histoires courtes, illustrations et satires, Guido Buzzelli, Les Cahiers Dessinés, couverture cartonnée, 25 x 31 cm, 142 pages, 29 €.