Éditions Rue de Sèvres, 76 pages, 24 x 32 cm, 17 €
Chaplin contre John Edgar Hoover fait feu de tout bois

Une BD assurément politique : l’étoffe d’un Grand

Publié le 21 novembre 2022 à 11:47

Laurent Seksis et David François procèdent au clap de fin du triptyque consacré à Charlie Chaplin, commencé avecChaplin en Amérique quand en 1912 il débarque la tête pleine de rêves. Huit ans plus tard, la notoriété est au rendez-vous pour Charlot le vagabond. Le second volet Chaplin prince d’Hollywood évoque les triomphes de Le Kid et de La Ruée vers l’or. Mais lorsque sa seconde épouse demande le divorce pour infidélités répétées, son image dans l’opinion publique se ternit. À 40 ans, les doutes l’assaillent, il pense même arrêter le cinéma. La rencontre avec l’actrice Paulette Goddard le galvanise. Il découvre en pleine crise économique les longues files d’attente devant les soupes populaires. Alors qu’il se tenait quelque peu en dehors de l’Histoire, il va s’y plonger d’un seul coup, retrouvant en lui clairvoyance et conscience sociale. Ce sont tous ces événements qui sont relatés dans ce dernier album, l’intime, les relations de Chaplin avec les femmes, au même titre que la réalisation des films et les réactions qu’ils provoquent.En 1936, il réalise Les

Temps modernes,satire subtilement comique dans les eaux glacées d’un capitalisme tayloriste qui soumet les ouvriers au travail à la chaîne. La droite réactionnaire se déchaîne et Edgar Hoover qui vient de créer le FBI et qui traque tout ce qui n’est pas politiquement correct, taxe le film de «  propagande rouge ». Il s’appuie sur une séquence où l’on voit Charlot brandissant un drapeau rouge à la tête d’une manifestation ouvrière. Charlot meneur ? Il voulait simplement le remettre dans le camion où il servait de signal de chargement très long.

Coups de vent toniques

Quand Hitler et la guerre menacent le monde, il tourne Le Dictateur, 1940. Un barbier juif, ancien combattant amnésique, reprend conscience lors de l’arrivée au pouvoir de Hynkel (son sosie) qui veut exterminer les Juifs. Il est arrêté, emprisonné mais s’évade déguisé en nazi. On le prend pour Hynkel, il en profite pour se lancer dans un grand discours humaniste. Plutôt que d’affronter Hitler sur son terrain, celui de l’apostrophe vindicative, il l’amène sur le sien, celui du spectacle, pour le ridiculiser (les dessins de la séquence de Hynkel qui jongle avec un ballon alternent avec les commentaires de Hoover assistant à la projection du film, ces dessins d’une légèreté cocasse signifient en même temps la tragédie en cours : le ballon, globe terrestre éclate entre ses mains). Nouveau déferlement d’attaques des isolationnistes et de la Commission des activités anti-américaines où va s’illustrer le sénateur triste sire McCarthy. Si le récit reprend les accusations proférées par Hoover au cours de trois décennies, le risque de répétition est évacué, cédant la place à l’obsession du patron du FBI.

En 1947, Chaplin délaisse Charlot et endosse le costume de Mr Verdoux inspiré des crimes de Landru, un film implacable d’humour noir et de cynisme serein. Comme Hoover et le maccarthysme lui gâchent la vie en permanence, Chaplin s’embarque pour l’Europe, Londres, Paris et Vevey en Suisse avec sa dernière épouse et ses nombreux enfants. Ce n’est qu’en 1972 qu’il retournera aux Etats-Unis pour recevoir un Oscar.La vie de Charlie Chaplin a fasciné et inspiré les deux auteurs qui l’ont transposée en un album grand format dans une mise en scène qui ne pouvait être que cinématographique, retrouvant la patine de l’époque en démarquant les séquences de ses films. Le dessin vit, glisse d’un registre à l’autre. La souplesse du graphisme, dessins soyeux comme baignés d’une lumière frémissante, couleurs douces et noir et blanc rendus complices, octroient à cette biographie où le plaisir de lire s’allie aux connaissances délivrées, un dynamisme bien sympathique. Un triptyque qui devrait en inciter plus d’un à revoir les films de Chaplin.