Évanouissements. Chroniques des continents engloutis de Michel Strulovici

Une Histoire d’être communiste

par PAUL K’ROS
Publié le 29 octobre 2021 à 13:26

627 pages d’un foisonnant et passionné récit, il n’en fallait pas moins à Michel Strulovici pour revisiter son itinéraire singulier au cœur des bouleversements de l’après-dernière-guerre mondiale jusqu’aux premières décennies de notre XXIe siècle et du même coup apporter un éclairage original sur les fulgurances, les méandres et arcanes de la vie politique dont il fut à la fois acteur et scrupuleux descripteur. Il faut dire que né pendant l’occupation de parents juifs et résistants communistes, Michel a connu très jeune les vicissitudes de l’existence et a plongé très tôt dans le bouillon de culture communiste comme on va d’un mouvement naturel se baigner dans l’eau vivifiante de la fontaine toute proche. Il devient membre des jeunesses communistes dès ses 14 ans. Après une enfance malmenée et une adolescence rigoureuse fortement marquées par les conditions de la fin de la guerre, les épreuves des parents et de la famille dans la Résistance, un oncle fusillé par les Allemands au Mont Valérien, Michel, le bac en poche, est admis à la Sorbonne, milite très activement à l’UEC et au Parti communiste français et, diplômé de sa prestigieuse université, part à Séoul en coopération. Un premier séjour professionnel à l’étranger qui sera suivi de bien d’autres. De retour à Paris, il embrasse dans les années 70 la carrière de journaliste à La nouvelle critique, féconde et rayonnante revue des intellectuels communistes, puis à l’Humanité dont il est un temps le correspondant permanent au Vietnam, ensuite pendant plus de trente ans journaliste télévisuel à France 2 et Antenne 2. 627 pages écrites avec l’empathie chaleureuse et fiévreuse du militant, la précision investigatrice du journaliste afin de laisser les traces d’une histoire tumultueuse faite de combats, d’avancées qui semblaient irrésistibles et de cruelles défaites ; d’enthousiasmes partagés, de débats enflammés, de déchirements et de ruptures. Michel Strulovici démissionnera du Parti communiste en 1984 au grand dam, dit-il, de son père qui ne lui pardonnera pas. Les lecteurs communistes de ma génération, la sienne, y retrouveront nombre de leurs actions solidaires avec les peuples en lutte pour leur indépendance et leur liberté, Algérie, Vietnam, Chili, la lutte pour Paix et le désarmement nucléaire… mais aussi bien entendu, Mai 68, Changer de cap, le programme commun de gouvernement, l’union de la gauche, l’eurocommunisme ou encore la tragique et désastreuse intervention des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie avec autant de vifs débats, relatés crûment, pointant les divergences, les désaccords, les ruptures. Qu’il soit partagé (en tout ou partie) ou non par le lecteur, le regard porté par Michel Strulovici sur tous les moments forts de notre vie politique commune est bienvenu tant cette connaissance critique intime de notre passé récent nous est utile pour tracer les chemins d’avenir en gardant le cap de l’émancipation humaine Intime, cet ouvrage l’est de bout en bout et c’est ce qui fait aussi sa richesse, tant il foisonne d’anecdotes, de mille noms et visages connus ou inconnus qui ont joué un rôle petit ou grand dans cette histoire ; on lira au passage avec intérêt les surprenantes confidences, qui en étonneront plus d’un, faites à l’auteur au détour de réunions par Paul Laurent et Roland Leroy (deux dirigeants de premier plan du PCF) révélatrices des contradictions à l’œuvre en permanence dans la société comme dans les esprits de ceux qui s’efforcent de peser sur le cours des choses. Tout aussi passionnante, la dernière partie de cette autobiographie est consacrée aux tribulations du journaliste « communiste », perle rare dans le personnel de la télévision publique à Antenne 2. Cette relation vécue de l’intérieur, ignorée du grand public, est souvent savoureuse, toujours très révélatrice. Ayant choisi de passer sa retraite en famille dans les Hauts-de-France, Michel Strulovici, fidèle a son objectif d’émancipation humaine, reste un défenseur très attentif de la création artistique et de la culture. Un combat plus actuel que jamais en ces temps où la barbarie campe à nouveau derrière la porte. Évanouissements. Chronique des continents engloutis, Michel Strulovici, éditions du croquant, 627 pages, 24 €.