Grasset Jeunesse, dès 9 ans, 72 pages, 21,5 x 31,2 cm, 20, 90 €
Nicky & Vera de Peter Sís

Une humanité rayonnante discrète

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 30 septembre 2022 à 11:02 Mise à jour le 29 septembre 2022

Les biographies concernent presque exclusivement des personnes connues, mais il existe de nombreux héros entourés de silence, n’ayant jamais cherché à se mettre en avant. Peter Sís rend hommage à l’un d’entre eux dont le combat requiert toute l’attention. Hiver 1938, Nicholas Winton, un jeune anglais, d’origine juive allemande, annule ses vacances à la neige et se rend à Prague conseillé par un ami. À la suite des accords de Munich et de l’occupation de la région des Sudètes par les troupes hitlériennes, plus de vingt mille réfugiés s’entassent dans la capitale tchèque. Nicky réalise qu’il faut faire quelque chose. La passion d’agir. Il collecte des fonds, bénéficie du soutien de familles britanniques qui acceptent d’accueillir des enfants auxquels il réussit à obtenir des visas en arrosant des fonctionnaires, n’hésitant pas à maquiller des papiers d’identité. Il organise leur voyage (huit trains quittent Prague) et parvient à sauver près de 700 enfants, sans rien dire à son épouse, ses proches et ses amis. Ce n’est qu’une cinquantaine d’années plus tard que son engagement est révélé suite à une trouvaille inopinée de documents dans le grenier. L’un des enfants, Vera, fille de fermiers aux abords de Prague, était âgée de dix ans à l’époque. Ses parents apprennent qu’un anglais aide les enfants à quitter la Tchécoslovaquie. Son père lui offre un carnet pour tenir le journal de son voyage vers Londres. Ainsi le destin unique d’une fillette évoque celui des centaines d’enfants qui ont échappé à la barbarie nazie. Certains d’entre eux rencontreront Nicholas Winton lors d’une émission de télévision.

Graphisme loin des figures traditionnelles

Peter Sís alterne les parcours de Nicky et de Vera en choisissant une composition des planches et une palette de couleurs totalement inattendues. Il place dans des cercles, à la périphérie d’une double page, des informations sur les événements historiques qui expliquent la décision de Nicky. Il résume sur le corps et les vêtements de Nicky et de Vera leurs souvenirs, leurs faits et gestes (Vera en compagnie de ses parents, des plats du repas, des chevaux qu’elle aimait nourrir et du chat qu’elle a adopté). Quant aux enfants, ils imaginent Nicky chevauchant une colombe et prêt à en découdre avec les dragons, épée à la main et bouclier sur lequel on peut lire First put needs of others (Mettre d’abord les besoins des autres). L’album est d’une rare élégance avec des couleurs d’une douceur envoûtante, « d’une sensibilité de cristal » afin de garder encore présente une mémoire qui risquait de s’effacer. Le récit est étayé par des cartes, des vues en coupe des maisons, des vues aériennes des différents lieux. Il y a une figure qui structure toute l’histoire, c’est la spirale, forme dynamique du devenir vivant des choses, figure de l’élévation et du dépassement de soi. Elle synthétise parfaitement l’action de Nicholas Winton.