Papa de Régis Jauffret

Vestiaire de l’enfance

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 24 janvier 2020 à 19:05

Soif de père, rêve de père... Si loin et devenu si proche. En 2018, Régis Jauffret regarde à la télévision un documentaire sur la police de Vichy. Brutalement, quelques images le bouleversent, il voit son père sortir menotté entre deux membres de la Gestapo de la maison où il a vécu enfant à Marseille dans les années 1940. Ni ce père, qui est décédé en 1987, ni ses proches, n’ont évoqué cet événement. Pourquoi ce silence ? Alfred fut-il un résistant, a-t-il parlé, trahi ses camarades ou a-t-il participé à une reconstitution pour un film de fiction ? Cette incertitude taraude l’écrivain, lui l’auteur de tant de récits qui se trouve « avoir été conçu par un père de roman » dont il ne connaît rien de ses faits et gestes.

Le vide de l’enquête

Aucune trace aux Archives des Bouches-du-Rhône, celles de la Gestapo ont disparu. Il ne lui reste plus qu’à ranimer son enfance. Des bribes de passé se profilent, un récit éclaté, en dislocation et reconstruction permanentes, des moments dont l’unité et la cohérence sont à jamais perdues. Un père atteint de surdité, faisant usage de neuroleptiques pour apaiser les douleurs qui l’accablent, incapable de nouer des relations avec autrui, en particulier avec son fils et qui trouve asile dans le repli sur soi. Une « dentelle de père », quelques fils, et autour du vide : « J’ai dû me contenter d’un bout de papa. »

Il émet des hypothèses, envisage le lien qui aurait pu l’unir à son géniteur, le met littéralement au monde, le transforme en personnage de roman et se construit ainsi un père. La réalité étant muette, la littérature lui donne vie et les fictions qu’il imagine deviennent des vérités perdues, des éclaircies parées aux couleurs de l’arc-en-ciel. Il y a quelque chose de poignant dans ce désir de parvenir à combler un déficit affectif, dans cet appel d’air autour du sujet manquant. L’auteur capte les moments de bonheur fugaces qui s’impriment sur la douleur des êtres, se concentrent sur les plus bruissants, les plus gourmands. Souvenirs éblouis surgis du vide accumulé...

La réalité rêvée d’un père

Quand le père et le fils n’étaient que deux parallèles, symboles de la proximité et de la séparation, fossé entre le vécu et le rêve souhaité, le dépit faisait naître un humour carabin rehaussé de scientifique, le doux-amer basculant dans le caustique, cascades de phrases assaisonnées d’épices incongrues, à l’affût de toutes les dérisions. Mais dès que la fiction accrédite une relation autre, la déposition émiettée et froide du temps passé cesse et la cruauté quelque peu rigolarde cède la place à l’affection envers un père désormais proche et complice. En quête de son enfance, Régis Jauffret s’est offert une tendresse pour l’avenir venue de loin et ce qui en fait le tissu, une ferveur à la vie, au vivant, à tout ce qui se touche du cœur et des mots. Il s’est mis à nu, l’écriture l’a rapproché de son père, c’est sa manière de pouvoir dire « Papa je t’aime  ».

Papa, Régis Jauffret, éditions du Seuil, janvier 2020, 208 p., 19 €.