Sirènes de légende, un album enchanteur

Vierges bienveillantes ou femmes fatales ?

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 26 janvier 2021 à 17:15

Les légendes de ces figures mythiques ont traversé les siècles, présentes dans l’imaginaire populaire.

Dès que le mot de sirène est prononcé, on pense de suite à celle d’Ulysse ou à la petite ondine du conte d’Andersen. Les lectures en classe des plus grands font apparaître la Lorelei du Rhin (cours d’allemand, poèmes de Heine, Nerval et Apollinaire). Des chansons, des mangas, le cinéma, dessins animés surtout, ne les ont pas oubliées, comme dans Pirates des Caraïbes, en pleine mer des Âmes perdues. La sirène est d’emblée synonyme à la fois de fascination, de séduction et de peur, elle a deux visages dans la culture populaire : affable ou dévoreuse. Rémi Giordano et Olivia Godat, réussissant magnifiquement à ne pas être répétitifs, ont ramené, dans leur filet d’écriture, ces créatures fantastiques qui ont marqué toutes les civilisations et qui sont des chimères mi-femme, mi-oiseau ou des divinités marines, mi-femme, mi-poisson. Certaines, souffrant de solitude, déçues de ne pas être aimées, rejoignent les monstres malfaisants de la mer. Les accents magiques de leur voix mélodieuse attirent les navigateurs qui, désorientés, oublient les récifs contre lesquels leur navire va se fracasser.

Bonheur en trompe l’œil et apport de l’angoisse

Selon Homère (L’Odyssée), c’est en approchant du détroit de Messine en Sicile qu’Ulysse et ses compagnons avaient rendez-vous avec les sirènes. Prévenu par la magicienne Circé, Ulysse coula de la cire dans les oreilles des marins et se fit attacher au mât pour entendre leur chant. La sirène d’Andersen, dont la statue de bronze se trouve dans le port de Copenhague, sauve un prince de la noyade. Elle donne sa voix à la sorcière des mers pour que sa queue devienne deux jambes. Mais quand le prince lui annonce qu’il doit épouser une princesse, elle se jette dans la mer. Les auteurs évoquent aussi Mélusine, la sirène à double queue, dont l’histoire est liée à celle des seigneurs de Lusignan (Poitou), à l’univers magique de la forêt de Brocéliande et du roi Arthur. Ils nous font découvrir la vaniteuse Sedna de la légende inuite qui, trop fière, refusant toutes les demandes en mariage, rencontre un machiavélique mi-homme, mi-oiseau qui l’accable de mauvais traitements. La guerrière Lara (Brésil) trompée par les voix de ses frères, croyant à des ennemis, leur tranche la gorge. Quant à la fille du pêcheur qui a capturé et cuisiné l’appétissante Ningyo (Japon), elle en mange un morceau et devient une très belle femme qui ne vieillit pas. Un mousse raconte dans son journal de bord la légende des Hommes bleus du Minch (îles Hébrides). Il poursuit la récitation du poème Oceano Nox de Victor Hugo commencé par l’un d’eux, sauvant ainsi tout l’équipage. Magnifiés par les pleines pages grand format, les dessins de Laura Pérez de cet univers effroyable ou enchanteur, de ces sirènes tant fantasmées, sont d’une beauté merveilleusement sauvage ou d’une douceur tranquille que l’attente harcèle. Ces tentatrices lointaines ou familières continuent de hanter notre imaginaire, inquiétantes, envoûtantes, romantiques…

Éditions La Martinière Jeunesse, 48 pages, 23 x 33 cm, 13, 90 €.