Littérature

Visions nocturnes et théâtre gestuel

La Clef des Songes de Michel Delaporte

par Alphonse Cugier
Publié le 2 octobre 2020 à 16:30

Les recueils d’interprétation de rêves ont fait florès depuis l’Antiquité. Freud a même signalé celui d’Artémidore d’Éphèse datant du premier siècle avant notre ère. Le rêve fut longtemps assimilé à une information des dieux ou des démons, messages bienveillants ou néfastes. Les colporteurs acheminaient dans tous les coins de France ces ouvrages se référant au grimoire Grand Albert, à des Cagliostro, Etteila ou Julia Orsini « spécialistes » en occultisme, cartomancie et secrets alchimiques. Depuis, les scientifiques en psychologie et neurobiologie ont tenté de comprendre le mystère du sommeil, du flot de sensations, d’émotions et d’images qu’il délivre.

Espérances, peurs, désirs et noirs desseins

La Clef des songes de Michel Delaporte paru initialement en 1836 nous propose 108 rêves avec leur « explication ». Quelques exemples montrent l’éventail des domaines. Quelques exemples montrent l’éventail des domaines retenus. « Entendre parler un enfant ou un perroquet = Quel secret découvre-t-on ? », « Battre sa femme = Soupçons injustes » mais « Battre son mari = Amitié sincère », « Bouderie d’amants = Amour constant », « Séduire ou être séduite = Faute dont on ne se repent pas », « Voir des diables = Tentations, chagrins », « Faire son testament = Héritiers qui en veulent à vos jours »... Le 19ème siècle, époque fascinée par le rêve et l’occulte, s’est enflammé pour le fantastique, le romanesque, le mélodrame, le vaudeville en robes à crinolines et force pâmoisons. Autant de domaines où la séduction et l’effroyable parfois alternent ou fusionnent, dramaturgie de faits divers qui se joue inexorablement à deux. Véritable, sublime et délicieux florilège de passions sages ou excessives, de fantasmes terre à terre, d’épisodes terribles ou surprenants parfois augmentés de morale que l’on peut lire au second degré, de ramasse-poussières de l’actualité, remakes dégradés de tragédies antiques. Tous ces songes, à l’allure de comptines, rebelles à toute intellectualité, « surréalistes avant la lettre » sont traduits en images, points culminants de nœuds d’intrigues.

Les personnages, ombres chinoises aux noirs charbonneux, pris le plus souvent de profil, se détachent sur des arrière-plans estompés de paysages, maisons campagnardes ou de villes, de ruines ou d’intérieurs comportant souvent lits, couloirs et portes. Ces images, fondées sur le langage de corps en plein mouvement brutalement figé, éclairent les ténèbres dont elles sont nées. Prenez plaisir à savourer ces visions, lithographies d’une obscure clarté où le noir est une couleur, chaque nuit intérieure explorée le montre. Une œuvre au noir qui nous invite aussi à interroger une société entichée de cette littérature imagée ou dessins légendés.

La Clef des songes, Michel Delaporte, août 2020, éditions Prairial, 240 pages, 20 €.