Littérature

Chaque nom cache une histoire

La Race des orphelins d’Oscar Lalo

par Alphonse Cugier
Publié le 28 août 2020 à 17:37

« Je m’appelle Hildegard Müller. Ceci est mon journal »... L’homme qu’elle a sollicité pour écrire son histoire, le scribe comme elle le nomme, se trouve face à une septuagénaire pour qui lire et écrire est difficile. Elle n’a jamais vécu avec ses parents, son enfance est un trou noir. Comment traduire en mots une vie qui commence par un vide, une absence de souvenirs.Hildegard est née en 1943 dans une Lebensborn (fontaines de vie), maternité particulière pratiquant la sélection raciale. C’est une enfant de « type aryen » (cheveux blonds, yeux bleus) de géniteurs inconnus mais de « souche pure », élevée selon le modèle rêvé par Himmler. La « science nazie » veillait à multiplier la« race décrétée supérieure » : les enfants de ces pouponnières surveillées de près grandissaient à l’écart, choisis pour former la future élite du Reich de mille ans. 1945, c’est la fin du Reich et les nazis détruisent tous les documents concernant leur conception.

Hildegard, élue pour être « la gloire de l’humanité » alors qu’elle dit en être la « lie », ne peut dire à ses enfants « d’où ils viennent, même s’ils viennent de nulle part ». Il y avait en Europe une trentaine de Lebensborn, usines à bébés et haras humains, dont une en France à Lamorlaye au sud de Chantilly.Le journal d’Hildegard, roman-documentaire, est écrit en français pour, dit-elle, « me désincarner de l’allemand, langue torturée par les nazis ». Comment se défaire à jamais d’une gangue de silence ? Le scribe « accompagne son filet de voix », veut ranimer sa mémoire, il apporte des livres, les lit, projette un film, Hannah Arendt, qui parle d’Eichmann, devant des étudiants. Littérature et cinéma, détonateurs à souvenirs : des choses enfouies affleurent, surgies du vide accumulé, comme réactivées par une sorte d’impatience longtemps refrénée. Pour rappeler que le nazisme « c’est l’obsession du sang » et la volonté « d’éliminer tous ceux qui menaçaient la race nordique » ; cela dit sans virulence, tout en retenue, dans un apaisement, une réconciliation avec soi qui rendent ce roman intense, prenant. Le livre est entrecoupé, morceaux de diverses longueurs qui correspondent aux flux irréguliers de la remontée des souvenirs. Et il tire justement sa force de ce rythme fondé sur des intervalles de blanc et de respiration.