Médias

Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation divise toujours la profession

par Justine Frémy
Publié le 7 février 2020 à 13:16

Mardi 4 février le Club de la presse Hauts-de-France accueillait Patrick Eveno, président du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), qui venait présenter le fonctionnement de cet organe de régulation de la presse nouvellement créé. Malgré l’intérêt affiché de cette initiative, les raisons de se montrer sceptique persistent.

Après des années de réflexion autour de la création d’un « conseil de la presse », d’abord au sein de l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP) créée en 2006, puis de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI) lancé lors des Assises du journalisme à Poitiers en 2011, la France s’est finalement dotée, le 2 décembre dernier, d’un Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). Tout en déplorant l’absence des grands médias régionaux tels que La Voix du Nord ou France 3 Hauts-de-France lors de cette réunion, Patrick Eveno, président du bureau fraîchement élu, le 14 janvier dernier, est revenu sur le fonctionnement prévu de cet organe devant les adhérents du Club de la presse.

Après des années de réflexion autour de la création d’un « conseil de la presse », d’abord au sein de l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP) créée en 2006, puis de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI) lancé lors des Assises du journalisme à Poitiers en 2011, la France s’est finalement dotée, le 2 décembre dernier, d’un Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). Tout en déplorant l’absence des grands médias régionaux tels que La Voix du Nord ou France 3 Hauts-de-France lors de cette réunion, Patrick Eveno, président du bureau fraîchement élu, le 14 janvier dernier, est revenu sur le fonctionnement prévu de cet organe.

Une représentation tripartite

Sous forme associative, un collège tripartite regroupant, de façon paritaire, des représentants des journalistes, des éditeurs et du public, va pouvoir émettre des avis, non contraignants, a posteriori et sans pouvoir de sanction, sur des « actes journalistiques » où la déontologie n’aurait pas été respectée. N’importe qui pourra les saisir dans les trois mois suivant la parution ou la diffusion, pour demander que soit analysé le contenu qui poserait problème. Dans ses statuts, le CDJM se réserve également le droit de s’autosaisir, « mais cela concernera sans doute plutôt les grandes affaires » précise son président. À ce jour, le CDJM a déjà été saisi quatre fois, dont l’une d’entre elle a été écartée car considérée hors délai (pour une publication datée d’il y a deux ans).

Les demandes seront d’abord analysées pour évaluer si elles relèvent bien d’une question de déontologie et non simplement d’une opinion divergente. « Les choix rédactionnels sont libres  » rappelle Patrick Eveno. Pas question, donc, d’émettre un avis sur les choix éditoriaux, sur la hiérarchisation de l’information ou l’angle adopté. Ne seront jugés que la pratique journalistique et ses éventuels manquements dans le recueil et la vérification de l’information, la protection des sources ou le respect des personnes et de la vie privée. Il n’y aura aucune demande de retrait du contenu journalistique ni a priori, ni a posteriori mais le CDJM se réserve le droit de demander à la rédaction de publier l’avis rendu. Des rapports réguliers, similaires à ceux émis par l’ODI, seront également publiés sur son site.

Par ailleurs, pour rendre ses avis, les commissions, composées d’un multiple de trois représentants (un pour chaque type d’adhérents, public, journalistes ou éditeurs) s’appuieront sur les grands textes de déontologie existants tels que la Charte de Munich adoptée en 1971, la Charte d’éthique professionnelle des journalistes du SNJ réactualisée en 2011 ou, plus récemment, la Charte mondiale d’éthique des journalistes, adoptée en 2019. Patrick Eveno ajoute qu’aucune adhésion de personne chargée de fonctions politiques quelconques ne sera acceptée, afin d’assurer la neutralité du conseil.

Côté financement, l’association projette d’être réellement indépendante d’ici trois à quatre ans, quand les cotisations de ses adhérents constitueront au moins 50 % de son financement. En attendant, elle pourra compter sur les subventions de l’État, de l’Union européenne, des collectivités, de l’Unesco, qui pourrait contribuer à hauteur de 20 000 € cette année à la suite d’un appel à projets, voire même du crowdfunding. Le CDJM ne dispose donc pas encore de locaux fixes et se fait héberger chez ses adhérents, tels que le SNJ, la CFDT-Journalistes, la mutuelle Audiens ou bien à La Sorbonne.

De nombreuses questions en suspens

En pratique, du côté des médias audiovisuels, se pose encore la question d’une co-régulation avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), déjà chargé de sanctionner les manquements au droit. Si cette question est actuellement en cours de négociation, cela ne devrait pas constituer un problème, car, selon Patrick Eveno, les choses vont « se mettre en place naturellement, après quelques années d’exercice  ». Il prend exemple sur la Belgique où le CSA et le CDJ « s’échangent naturellement les cas » lorsqu’ils sont saisis pour des questions qui concernent l’autre entité et publient même un rapport commun indiquant les raisons de leurs choix. Il rappelle que le CSA n’est « pas outillé  » pour traiter des questions déontologiques, et va donc naturellement faire appel au CDJM pour débattre de ces questions. Nous attendons de voir.

Création du CDJM
Luc Hossepied, Patrick Eveno et Philippe Allienne au Club de la presse Hauts-de-France, mardi 4 février 2020.
© Justine Frémy

Dans le public, une journaliste reporter d’images s’interroge : « Est-ce que ce n’est pas plutôt de l’éducation aux médias dont nous avons besoin pour redonner confiance au public ? », d’autant que des chartes éthiques existent déjà dans chaque rédaction. L’intérêt du CDJM, selon Patrick Eveno, c’est de ne pas faire de la déontologie « chacun dans son coin, dans sa propre rédaction, mais plutôt de façon collective ». C’est le dialogue avec le public, la transparence, la pédagogie et l’influence des avis rendus par le conseil qui vont permettre une amélioration des pratiques et de la confiance. Selon lui, il n’y a pas non plus de «  risque de censure mais seulement d’amélioration des pratiques  ».

Et du côté de la lutte contre les fausses nouvelles ? « La liberté d’expression, c’est aussi le droit de dire des conneries, mais quand on est journaliste et qu’il y a un acte d’informer, c’est là qu’il faut des règles déontologiques » précise Patrick Eveno, clamant que, de toute façon, « les fake news ont toujours existé, quelle que soit l’époque ». Le CDJM n’ayant pas vocation à analyser des contenus autres que journalistiques, sa création ne devrait donc pas avoir de grande incidence sur la diffusion de tels contenus sur les réseaux sociaux.

Enfin, c’est principalement le contexte politique de la création du CDJM qui inquiète la profession. En effet, si elle réfléchit depuis de nombreuses années à se doter d’un tel organe, c’est bien sous l’impulsion politique de Nicolas Sarkozy d’abord, puis de Jean-Luc Mélenchon, et enfin d’Emmanuel Macron, que s’est concrétisé ce projet. C’est l’ex-ministre de la Culture, Françoise Nyssen, qui a demandé un rapport sur cette question à Emmanuel Hoog, remis le 27 mars 2019. De plus, les prises de position du secrétaire d’État chargé du Numérique Cédric O, qui évoque un « conseil de l’ordre », ainsi que les deux lois sous la présidence Macron (contre les fausses nouvelles en période électorale et pour la protection du secret des affaires) qui entravent le travail des journalistes, créent une atmosphère de suspicion autour de ce CDJM. Quand le président de la République annonce que « la presse ne cherche plus la vérité  », comment reprocher aux journalistes de se méfier de tout organe, vivement souhaité par une classe politique hostile, voué à juger leurs pratiques ? Un photojournaliste s’inquiète ainsi : « Si Marine Le Pen était élue en 2022, qui peut nous assurer que le CDJM ne sera pas utilisé à des fins politiques pour museler la presse ?  »

Enfin, concernant l’une des propositions du rapport Hoog, selon laquelle le financement des plateformes numériques, en application de la directive européenne sur les droits voisins, dépendrait de l’adhésion au CDJM, Patrick Eveno se montre rassurant, il n’en est évidemment pas question. Au contraire, les médias adhérents pourraient plutôt voir leurs subventions bonifiées.

Redonner confiance dans les médias

L’objectif affiché d’un tel organe d’autorégulation n’en reste pas moins noble. Le président du CDJM rappelle que la confiance dans les médias en France n’a jamais été aussi basse, puisque 24 % seulement des Français ont confiance dans les médias selon le baromètre annuel Kantar-La Croix. « Depuis l’existence du baromètre de La Croix en 1987, cette confiance n’a pas cessé de chuter. » A contrario, Patrick Eveno fait remarquer que dans toutes les démocraties occidentales dotées d’un tel conseil, le niveau de confiance s’avère bien plus élevé. Au Québec, le conseil, qui existe depuis une quarantaine d’années, est plébiscité par le public et 72 % de la population affiche sa confiance envers les médias.

De son côté, le SNJ-CGT fait part de ses doutes quant à l’utilité d’un tel conseil pour accroître la crédibilité de la presse. Dans un communiqué daté du 13 mai 2019 (voir ci-dessous), il considère que « pour reconquérir la confiance du public, les journalistes n’ont pas besoin d’un conseil de presse. Ils ont besoin de conditions de travail correctes, de pouvoir vivre dignement de leur métier et de ne pas dépendre du bon vouloir d’actionnaires en tout genre.  » Selon lui, c’est avant tout la baisse des effectifs, la précarité et les attaques contre le statut de journaliste qui fragilisent la profession et les empêchent d’exercer leur travail dans de bonnes conditions.

En attendant, toutes les craintes et doutes émis par les journalistes sont balayés d’un revers de main par Patrick Eveno, qui conserve un enthousiasme et un optimisme à toute épreuve : « Il faut le tenter, qu’est-ce que vous risquez ? » Selon lui, au vu des expériences dans les autres pays, les choses vont se mettre en place toutes seules, naturellement, quand les médias verront que le CDJM publie, aussi, des avis positifs à leur propos. Son président se montre avant tout pragmatique vis-à-vis des réticences de certaines rédactions : « Soit on attend que tout le monde soit pour et cela ne se fera jamais, soit on y va et ils nous rejoindront petit à petit. » Patrick Eveno compte donc sur les vertus intrinsèques de ce conseil et sur les bonnes volontés de chacun pour améliorer la confiance des Français dans leurs médias. On ne demande qu’à y croire.

LA DÉONTOLOGIE DANS LA PRESSE

Depuis plus d’un siècle, quelques lois fondatrices ont posé les bases de l’exercice de la presse et les journalistes se sont dotés de textes, au niveau national et international, qui assurent le respect des pratiques déontologiques dans l’exercice de cette profession non réglementée. Le CDJM va s’appuyer sur ces différents textes pour rendre ses avis.

1881. Adoption de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

1918. Première Charte des devoirs professionnels des journalistes français, fondatrice du SNJ (réactualisée en 1938 puis en 2011)

1971. Déclaration des devoirs et des droits des journalistes adoptée par les syndicats de journalistes européens à Munich

2016. Promulgation de la loi Bloche qui rend obligatoire l’adoption de chartes déontologiques propres à chaque entreprise de presse

2017. Réactualisation de la Charte de Munich adoptée par le SNJ-CGT

2019. Charte mondiale d’éthique des journalistes adoptée à Tunis

Retrouvez l’intégralité du communiqué du SNJ-CGT sur la création du CDJM :

Pour saisir le CDJM, rendez-vous sur cdjm.org.