Nos bons vieux journaux papier ne seront-ils bientôt plus qu’un souvenir ? La question vient naturellement à l’esprit à la lecture de Ces voix des Hauts-de-France, ouvrage signé Jean-Paul Visse. Quelles « voix » ? Celles des quotidiens régionaux, à commencer par ceux surgis dans la foulée libératrice de l’automne 1944. Une dizaine de titres, rien que pour le Nord-Pas-de-Calais, une quinzaine en comptant la Picardie. Vitalité révélatrice de la soif de liberté d’un pays bâillonné quatre années durant. L’euphorie de la Libération retombant, plusieurs de ces voix se turent rapidement. D’autres commencèrent à se heurter à des contraintes de gestion que ne laissait pas augurer la « Déclaration des droits et des devoirs de la presse » de novembre 1945, affirmant : « La presse n’est pas un instrument d’objet commercial mais un instrument de culture. » D’autres, en revanche, davantage en phase avec les milieux économiques et bénéficiant de leur soutien, connurent un véritable âge d’or, aujourd’hui terminé. La concurrence de la radio, de la télévision, des journaux gratuits, d’internet a inexorablement fait fondre le lectorat de la presse papier. Des difficultés de tous ordres dont des coûts de fabrication élevés sont devenus, à terme, insurmontables pour les journaux estampillés « d’opinion ». L’aventure de Liberté s’interrompit ainsi en 1992. De la dizaine de quotidiens lancés en Nord-Pas-de-Calais-Picardie entre les années 1950 et 1980, il n’en reste pas un.
Que d’histoires !
C’est dans cet univers émaillé de multiples péripéties que nous entraîne Jean-Paul Visse au fil d’un livre unique, solidement documenté, richement illustré. L’auteur, historien, universitaire, connaît son sujet sur le bout des doigts. Il avait précédemment publié La presse du Nord et du Pas-de-Calais au temps de L’Écho du Nord (1819-1944). Ce nouvel ouvrage apparaît comme sa suite. Sauf que, cette fois, Jean-Paul Visse élargit ses investigations à l’ensemble des Hauts-de-France (Aisne, Somme, Oise, Nord et Pas-de-Calais). Il a aussi choisi, plutôt qu’une synthèse, de consacrer à chacun des 26 journaux étudiés un chapitre à part entière. Nous nous retrouvons ainsi dans les coulisses de la Voix du Nord dont beaucoup de lecteurs actuels ignorent que son contrôle fut l’objet d’un combat de 30 ans ! Les coulisses aussi de « notre » Liberté dont le parcours fut tout sauf un long fleuve tranquille. Mais aussi de Nord-Matin, Nord-Éclair, La Croix du Nord, Le Courrier Picard, Nord Littoral et les autres. En ce temps-là, les journaux n’étaient pas que des « voix », mais aussi des acteurs de la vie locale, politique, culturelle. Ils étaient même des produits quasiment « de première nécessité » pour les lecteurs qui guettaient leur arrivée le matin dans la boîte aux lettres. Aujourd’hui affaiblis, rares sont les titres à avoir conservé une indépendance totale. Les trois quotidiens subsistant en Nord-Pas-de-Calais appartiennent à un seul et même groupe.
Demain, le 100 % numérique ?
Face au défi d’une information dématérialisée, tous cherchent des parades, mêlant généralement numérique et papier. Le premier finira-t-il par éclipser totalement le second ? L’accès aux informations passe aujourd’hui, à l’évidence, principalement par la lecture sur écran. Mais le papier, s’il bat en retraite, résiste. Le supprimer peut même s’avérer risqué, car « un abonnement numérique est moins rentable qu’un abonnement au journal papier », explique Jean-Paul Visse. « Pour le moment », précise-t-il. Qu’en sera-t-il demain ? L’Histoire ne repasse jamais les plats, inutile d’espérer un retour en arrière. L’Histoire n’est jamais non plus écrite d’avance, surtout sa fin. Beaucoup imaginent déjà un univers 100 % numérique. Le besoin d’information mais aussi de réflexion y trouverait-il entièrement son compte ? Et si le papier avait encore une place, renouvelée, dans « le monde d’après » ?
Ces voix des Hauts de France. Les quotidiens du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie depuis la Libération, Jean-Paul Visse. Collection Kiosque 59-62. Ce livre peut être commandé à la Société des Amis de Panckoucke, 31, avenue de la Gare, 59118 Wambrechies (35 euros port compris, chèque à l’ordre de la Société des Amis de Panckoucke).
