EMANUEL PROWELLER, Au bois de Vincennes, 1971, Huile sur toile 130 x 89 cm, Courtesy Galerie GP & N Vallois, Paris © André Morin
Le Vif du sujet d’Emanuel Proweller. Exposition et catalogue

Actes de renaissance

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 10 septembre 2021 à 12:43

Né en Pologne en 1918, rescapé de la Shoah (toute sa famille a péri), il arrive à Paris en 1948 pour devenir peintre et s’extraire du « chaos tragique du passé ». Sur une huile sur toile de 1957, un tournesol épanoui, lumineux a poussé dans l’ombre portée d’une potence, rappel des années d’occupation et des camps de concentration. La toile porte en titre Le pendu ou Souvenir de l’occupant. Initialement, elle s’appelait Un éternel renouveau. Titre programmateur pour cet artiste qui voulait rompre avec les dérives formalistes de l’abstraction géométrique, redonner foi en l’humanité et réintroduire dans ses œuvres des objets du vécu quotidien et des êtres humains dont la présence avait été totalement effacée par les atrocités nazies et la guerre.

Le poids de la légèreté et l’élégance du peu

Emanuel Proweller est resté fidèle à une démarche qui marie abstraction et figuration. Il veut faire naître de ce paradoxe, harmonie et sérénité : c’est sa « Terre Promise » habitée de sujets profanes. Alors qu’il a opéré dès les années 1950 un retour à la figuration, ce n’est que deux décennies plus tard qu’il sera à nouveau exposé et reconnu comme le précurseur de la Figuration narrative, un des plus importants mouvements qui a marqué le paysage artistique français dans les années 1960-1970. Des artistes de ce mouvement tels Rancillac, Erro, Recalcati, Aillaud, Fromanger, Arroyo, les Malassis, Cueco… en prise directe avec l’actualité, s’engagent dans leur siècle pour dénoncer les aliénations de la société contemporaine avec une salutaire virulence. Emanuel Proweller, tout en étant attentif aux bruits et aux fureurs d’un monde violent et tranchant, « affirme le droit d’être heureux… à condition d’être lucide » et d’apprécier les petits riens, le sel de la vie, la qualité des moments où cela respire.

EMANUEL PROWELLER, La Première cigarette, Juin 1969, Huile sur toile 81 x 100 cm, Courtesy Galerie GP & N Vallois, Paris
© André Morin

Ses toiles reposent sur la fragmentation, corps déclinés en morceaux, déployés dans une savante découpe, exécutant leur propre cohérence. Les couleurs réinventées, « jamais la même nuance par œuvre », sont juxtaposées en aplats qui tapissent les formes, allègent la matière des objets et la chair des êtres. Un instinct de vie s’y dégage dans un graphisme souple et subtil, un chromatisme réjouissant. Accomplissement d’une peinture marquée par une simplicité, une grâce et une fraîcheur qui transfigurent le quotidien le plus humble et qui substituent la suggestion à l’intensité.

Graphisme subtil et chromatisme réjouissant

En plus des œuvres exposées, le catalogue comporte des images d’archives, deux textes inédits de l’artiste, une préface de sa fille Élisabeth Brami, auteure reconnue en littérature jeunesse et générale (La Couleur des saisons s’inspire de 47 toiles de son père, toutes sont reproduites dans l’album, éditions courtes et longues). Un essai de Catherine Francblin, ancienne rédactrice en chef du magazine Art Press, spécialiste du Nouveau Réalisme, en particulier de Niki de Saint Phalle, complète l’ouvrage.

Exposition Le Vif du sujet à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris, 4 septembre-15 octobre. Catalogue courtes et longues en coédition avec la galerie, 24,5 x 28 cm, 96 pages, 29 €.