Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Jean-Jacques Tachdjian, artiste encore vivant

Publié le 13 décembre 2021 à 11:59

C’était son rire au fond du bar. Il s’était déjà fait des copains. Il avait commandé une bière « mais pas une IPA ! » et me relatait alors son enfance, à Lille, quartier de Wazemmes, où, quittant Paris, ses parents artisans s’étaient installés dans le grenier à foin d’un ancien relais de poste. Il en avait bavé à l’école, auprès des gosses de prolos à cause de « mes origines parisiennes, puis des gosses de bourges à cause de mes origines prolos. Quand je fus en foyer, c’était bien. On était tous pareils. Je ne morflais plus à cause du déterminisme social ». Vivant dans un squat à Lille, vendant ses dessins, il rencontre Benoît Delépine créant un journal gratuit pour les étudiants. « Sans bac, j’avais un complexe par rapport aux études, face aux gosses de riches. J’ai toujours eu une dent contre le système universitaire. On fait croire des histoires aux gens. Devant chez moi, il y a une école de commerce, école de mâles dominants. C’est le modèle social de référence pour les jeunes aujourd’hui. Avant, c’était des mecs défoncés qui faisaient du rock’n’roll. Et on respectait mieux les gonzesses à l’époque. » Et il éclatait de rire ! Et les copains de La Chope approuvaient. « J’ai fait un mémoire sur l’utilité de l’art dans la société, puisque le marché de l’art est une histoire de coterie et de fric. L’art contemporain est une escroquerie menée par des marquis qui intellectualisent des conneries avec l’argent public. Aujourd’hui, l’art est verrouillé. Une bourgeoise de Marcq-en-Barœul qui fait des tableaux va les vendre aux copines. Pour elles, c’est une artiste, alors que c’est qu’une projection ! Pareil pour les riches qui achètent des œuvres de riches comme Koons. » Il était intarissable, limite colère, mais avec gouaille. « Faut voir la révérence avec laquelle les gens parlent d’art, des maîîîtres, alors que c’est des branleurs. Picasso est le plus grand escroc du 20e siècle. Duchamp était un bourgeois qui faisait des conneries pour se marrer. Il s’est pris à son propre jeu, ouvrant la porte à toutes les imbécilités de l’art contemporain. » Son travail artistique, images détournées, colorées ou simples typographies, venaient de tous les métiers qu’il avait faits avec passion. « J’ai été graphiste, auteur de BD, éditeur, imprimeur, typographe. À mon premier ordi, j’ai trouvé le numérique super. Finalement, ça a été le contraire. Les gens ont fait de plus en plus de choses facilement grâce aux technologies, mais moins intéressantes. » Il me fit alors découvrir Edward Fella, « le plus grand graphiste du monde ! », et Red Mirror de Simone Pieranni, « un livre glaçant sur la Chine et ce qui nous attend ». Jean-Jacques fait des livres, qu’il vend, puis qu’il donne à ses copains, « tous comme moi : artistes et pauvres. La plupart des gens qui ont des diplômes sont ce qui est écrit sur leur papelard. Personne ne le remettra en question. Ils le seront à vie même s’ils ne s’améliorent pas. Quand tu es autodidacte comme moi, on te demandera toute ta vie de prouver et de justifier ce que tu fais, c’est épuisant. » À la question « dis moi un truc important », il me dit : « Rien. Parce que je ne suis pas important. » Et il éclata de rire.

Son travail : lachienne.com. Et ses typo : radiateur-fontes.com.