Portrait

Le bon fonds de René Gabrelle

par Philippe Allienne
Publié le 3 mai 2019 à 17:13 Mise à jour le 15 juin 2019

Une trentaine d’instantanés noir et blanc, saisis entre 1957 et 1992 par René Gabrelle, ex-journaliste au quotidien Liberté, sont exposés jusqu’au 25 mai à la mairie de Seclin. Un travail et un observateur de la vie sociale de la région à découvrir sans tarder.

ll est des greniers et des placards qui recèlent des trésors. Passionné de photographie depuis l’enfance, René Gabrelle a accumulé des milliers de négatifs 6 x 6 qui dormaient et risquaient les outrages de l’oubli. Il aura fallu la curiosité d’un autre photographe de la région, Emmanuel Goulliart, pour leur redonner une nouvelle vie et une visibilité inédite. À la recherche d’images de femmes et d’enfants pour sa maison d’édition (il est également gérant d’Étagèreéditions), sa quête l’a mené jusqu’à René Gabrelle qui lui a ouvert ses archives. «  J’ai découvert des photographies à la Doisneau, mais en Nord-Pas-de Calais ! », s’exclame-t-il. Une comparaison qu’il soutient toujours tant l’humanité dans le regard des personnes photographiées est profonde.

Le boîtier du père

Pourtant, René Gabrelle n’a jamais approché le photographe humaniste et jure ne s’en être même pas inspiré. Il faut donc plutôt voir dans ses travaux le résultat à la fois d’une passion et d’une histoire. La passion s’est révélée lorsque, enfant, il a emprunté le boîtier que possédait son père. « Depuis, je n’ai jamais cessé de prendre des photos », dit-il. «  Mais si je n’ai rien contre les rangs d’oignons [les personnes posant alignées côte à côte, à l’inverse de l’instantané – ndlr], je voulais sortir de l’ordinaire, faire plus original et rendre la vie  ». Et puis, il y a son histoire professionnelle qui va servir d’accélérateur.

René Gabrelle commence à travailler comme ouvrier de ferme à Bapaume, dans le Pas-de Calais, où il est né 16 ans plus tôt.

Nous sommes en 1947, au sortir de la guerre. Par la suite, il est ouvrier dans le bâtiment et adhère parallèlement aux Jeunesses communistes. Cela lui permet de rencontrer Léandre Letoquart, alors directeur de Liberté. C’est une première approche du journalisme qui se concrétise après son retour d’Algérie où il avait été appelé. Rencontre avec le rédacteur en chef, Jacques Estager, période d’essai réussie, embauche au siège lillois, rue de Lannoy, comme secrétaire de rédaction.

Les journalistes lui font découvrir le terrain en l’emmenant en reportage. Il attrape le virus pour de bon. «  A l’époque, il fallait à la fois écrire et prendre des photos », se souvient-il. C’est là que tout commence sérieusement. Il apprend à développer les films et à faire des tirages papier sous le regard attentif, parfois impatient, du photographe Marcel Deccuber et du chef du service photo Elie Maleri (son formateur).

Pêcheurs et mineurs

Rapidement, il devient journaliste correspondant à Boulogne-sur-Mer et, un an plus tard, à Béthune-Bruay. Des pêcheurs aux mineurs, si l’on accepte le raccourci, il découvre des métiers et des rapports humains très riches. La vie des mineurs, la descente dans la fosse, la pénibilité du travail... Il note, photographe et rentre daredare à Lille pour écrire ses articles et développer ses photos. En dehors de ses heures de travail professionnel, il trimballe encore son boîtier 6 x 6, dans les quartiers, les rues, sur les places et les plages afin de réaliser des prises de vue différentes. Il continuera ainsi des années durant, jusqu’en 1992 où, devenu rédacteur en chef adjoint de Liberté, il est licencié à la liquidation du titre. Fin d’une belle histoire, début d’une autre plus méconnue. Sélectionnées parmi les innombrables cartons qu’il conservait « sans trop savoir qu’en faire  », les photos réunies sous le titre Les femmes et les enfants d’abord donnent à voir la vie sociale des décennies 50, 60, 70... Des enfants qui jouent et se poursuivent, des enfants qui rient, qui glissent sur les sols gelés, des jeunes filles, des mères et des épouses dans leur vie quotidienne, au jardin Vauban de Lille, au bal populaire. Mais aussi des ouvriers lors d’un meeting de mineurs. Et toujours cette vie, cette humanité, cet optimisme qui transparaissent, surprennent et savent séduire les femmes et les hommes d’aujourd’hui.