La Covid a bon dos

Comment certaines entreprises profitent de la crise

par Philippe Allienne
Publié le 28 août 2020 à 17:21

Le jugement rendu pour la reprise de l’entreprise de prêt-à-porter féminin Camaïeu, le 17 août, révèle le désarroi dans lequel sont plongés de très nombreux salariés du commerce.

Peu après le jugement rendu lundi 17 avril par le tribunal de commerce de Lille Métropole, les syndicalistes qui s’étaient ensuite rendus sur le parking du siège de l’entreprise, à Tourcoing, étaient assaillis de coups de fil. C’est que l’entreprise comptait plus de 600 magasins répartis sur le territoire français. Alors, les journaux locaux voulaient savoir si les points de vente de leur région étaient éventuellement concernés, ou non, par l’offre de reprise de la Financière immobilière bordelaise (FIB). Mais surtout, les salariés de ces magasins eux-mêmes se renseignaient sur leur propre sort : « Mon magasin est-il sur la liste, vais- je être licencié.e ? » Des licenciements et des départs volontaires ou en retraite, il y en aura environ 500. C’est bien l’un des aspects les plus insupportables de ce type de dossier. Les gestionnaires gèrent leur affaire froidement et oublient, souvent, les personnes qui sont derrière leurs colonnes de chiffres.

Secrétaire fédéral CGT du commerce et référent CGT des commerces et services pour le Nord, Elhadji Niang cache sa joie. « Si la décision du tribunal soulage une bonne partie des salariés, à l’issue d’une situation incertaine et compliquée en raison de la Covid, il faut comprendre que beaucoup d’entreprises profitent de la crise sanitaire pour mettre certaines stratégies en place. » En clair, la Covid peut servir, sinon d’alibi, au moins de désinhibiteur pour enclencher un plan social prévu à l’avance. Chez Camaïeu, les problèmes existaient depuis longtemps. C’est d’ailleurs pour cela que les salariés ont soutenu l’offre de la FIB contre celle de leur patron Joannes Soënen et de ses associés à la reprise. La confiance en ce dernier a été définitivement perdue quand les salariés ont appris qu’il avait délibérément organisé la faillite de ses filiales belges, suisses et luxembourgeoises.

« D’une manière générale, explique Elhadji Niang, le secteur de l’habillement français est très touché et on comprend mal que, grâce à une ordonnance du 20 mai de cette année, prise dans le contexte de crise sanitaire, un employeur liquidateur puisse être candidat à sa propre reprise. » Histoire d’éponger ses dettes au détriment de l’emploi.Ce type de pratique, s’il reste légal, est souvent associé à des méthodes peu loyales vis- à-vis des élus de l’entreprise. « Il n’est pas normal qu’un élu pose une question en réunion et reparte sans réponse alors qu’il apprendra, un peu plus tard, que l’entreprise est en redressement judiciaire. La direction lui promet de le consulter mais oublie ! »Autre cas de figure, dans l’ameublement et dans le sud cette fois : le distributeur de meubles Alinéa. L’enseigne, 26 magasins et 1 974 salariés, justifie son dépôt de bilan par à la fois la crise sanitaire, les grèves liées à la réforme des retraites et les manifestations des Gilets jaunes. Un grand classique. Le cabinet d’experts Advance conteste cette explication et rappelle qu’Alinéa a commencé à enchaîner les pertes en 2018.

Cette fois, après liquidation, les repreneurs sont Alexis Mulliez et sa famille. Alexis Mulliez était bien le dirigeant d’Alinéa. Il prévoit la reprise de 1 000 salariés sur 1 974 et de neuf magasins sur 26. Et la famille Mulliez peut dormir tranquille. Mais comment expliquer que trois ans plus tôt, en novembre 2017, la direction avait décidé de transférer la propriété des murs de neuf magasins à Aline Immo, une nouvelle structure créée pour l’occasion ? La valeur des murs a baissé et, au moment où les difficultés apparaissent, les ressources sont amoindries. Ce sont de toute façon les AGS qui paieront plus tard (c’est- à-dire maintenant) le coût des licenciements : 21,9 millions d’euros. Résumé : Alinéa dépose le bilan, elle rachète l’entreprise en partie et fait financer les licenciements par la collectivité.