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Libertés publiques

L’air du temps effraie

par Emmanuel Devaux
Publié le 19 mai 2023 à 15:22

Bien que le pouvoir s’affirme sourd et aveugle aux mobilisations historiques, il déploie un arsenal répressif sans précédent contre les manifestants. Un effritement continu de l’État de droit.

Victoire pour les plaignants et coup de frein à l’autoritarisme croissant. Ce 19 mai, le tribunal administratif de Lille a donné tort au parquet et raison à la Ligue des droits de l’Homme (LDH), au Syndicat des avocats de France (SAF) et à l’Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) en jugeant illégal le fichier du parquet sur les gardés à vue lors des manifestations contre la réforme des retraites. Par conséquent le jugement rendu ordonne la destruction dudit fichier. L’audience s’était tenue lundi 15 mai, après saisie de la LDH, du SF et de l’Adelico qui réclamaient la cessation immédiate du fichage politique et clandestin des manifestantes et manifestants gardés à vue et la destruction de ces fichiers. Cette pratique sauvage au sein de certains parquets, révélée par Mediapart, le 5 mai, franchit un nouveau palier dans la répression de l’opposition citoyenne. Droit dans ses bottes, le ministère de la Justice a justifié ces procédures douteuses par l’existence d’un décret relatif à une base de données antérieure. Gaz, grenades, LBD, drones, bonds offensifs, nasses et gardes à vue en masse, cette dernière décennie, les manifestant.e.s ont appris à se familiariser avec les techniques du maintien de l’ordre et le lexique des armes de plus en plus dangereuses, mutilantes et meurtrières employées par les forces dites de « sécurité » en France. Les moqueries à l’égard de défilés syndicaux – raillés il n’y a pas si longtemps comme de pépères « manifs-merguez » – ont progressivement cédé la place à la peur. Panique d’être bloqués dans des rues saturées de lacrymogènes, d’être ciblés par des déferlements de violences « légitimes » et choqués par des traumatismes durables. Il y a quatre ans, la féroce répression des Gilets Jaunes traduisait l’irruption dans les centres-villes des méthodes policières jusqu’ici « réservées » aux périphéries populaires. Aujourd’hui, ce sont les cortèges déclarés et organisés en bonne et due forme qui subissent les dérives et les excès justifiés il y a encore peu à l’encontre des manifs « sauvages ». Au nom d’une supposée défense de l’Etat de droit, on voit se légaliser des caractéristiques des régimes autoritaires. « Le nombre d’arrestations et de garde-à-vue est en nette hausse depuis le début du mouvement social, alerte Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Elles s’accompagnent d’atteintes aux droits, de gens enfermés dans des conditions immondes, de gens ramassés au hasard. La technique est simple : vous pêchez tout ce que vous pouvez, vous les garder au chaud dans la perspective des manifs à venir. Ça refroidit, ça intimide. » A travers cette politique volontaire d’intimidation collective policière ET judiciaire, c’est la normalisation de procédures-baillons à l’encontre de la contestation pacifique, légale et légitime des politiques gouverne- mentales qui est aujourd’hui dénoncée de plus en plus vivement par les défenseurs des libertés publiques.

Un recueil saisissant de témoignages de manifestants gilets jaunes incarcérés pour des faits bénins : Je ne pensais pas prendre du ferme (Éditions du bout de la ville).