Que retirez-vous de la visite des deux ministres à Béthune ?
Venir était sans doute le minimum qu’elles pouvaient faire. Cela étant, le fait qu’elles se soient déplacées toutes le deux est en soi révélateur. On voit bien que c’est la ministre du Travail qui est à la manœuvre. Cela me donne le sentiment que l’on se dirige davantage vers un PSE amélioré que vers une solution industrielle.
Le point culminant de cette visite était la visio-conférence avec la direction européenne. Que faut-il en penser ?
Le PDG nous a expliqué dans quelles circonstances Bridgestone a décidé la fermeture du site de Béthune. Il assure que cela n’a rien à voir avec un défaut d’investissement. Pour lui, c’est la surcharge du marché qui est en cause. Il pointe du doigt les importations d’Asie du Sud-Est et l’augmentation de la capacité de production en Europe par les trois premiums : Michelin, Goodyear et Bridgestone. Comme le groupe estime que le site béthunois est le moins productif et le plus cher, qu’il est spécialisé dans la fabrication de pneus qui ne trouvent plus place sur le marché, il persiste à dire que la cessation totale de l’activité de l’usine de Béthune est la seule option pour sauvegarder la compétitivité de ses opérations en Europe. Il dit aussi que plusieurs solutions ont été préalablement examinées, notamment la production de pneus de grande dimension pour les SUV. Cela aurait nécessité un investissement de 160 à 200 millions d’euros et ils avaient projeté plusieurs niveaux de participation des collectivités et de l’État (allant de 30 à 70 %). Autres solutions : trouver un repreneur qui fabrique des pneus ou une reconversion avec les partenaires de Bridgestone dans la logistique, la réparation ou encore la distribution. Troisième solution évoquée : un PSE exemplaire qu’il chiffre entre 100 000 et 120 000 euros par salarié. Mais il refuse de préciser si ces montants intègrent ou non la reconversion du site.
On entend finalement peu la parole de la direction européenne qui semble peu apprécier la communication.
Les délégués syndicaux de Bridgestone Béthune soulignent qu’ils n’ont jamais pu lui parler. Mais de toute façon, les salariés, s’ils s’accrochent à la perspective d’un redémarrage, sont très perplexes. Ils ont du mal à croire à une solution alors que l’État et les collectivités avaient été alertés sur l’avenir du site. Or, les salariés n’ont jamais été entendus.
Que peut-on attendre de l’État ?
Agnès Pannier-Runacher demande d’abord une contre-expertise des scénarios évoqués par la direction et l’étude de la possibilité d’investir dans la production de pneus à forte valeur ajoutée. Aujourd’hui, l’État dispose de l’argent du plan de relance et a donc la capacité d’apporter une forte contribution. Il peut aussi avoir recours au chômage partiel pour permettre aux salariés de se réadapter. Nous en saurons plus dans deux à trois semaines, le délai qu’il s’est donné. Mais Bridgestone n’a pas reçu récemment des aides d’État ou des collectivités. Elle n’y tenait visiblement pas. D’ailleurs, il y a quelques années, elle a désamianté et dépollué le site comme si elle préparait son retrait sans risquer le moindre reproche. Un départ programmé, propre et irréprochable en quelque sorte. Aujourd’hui, l’État peut peut-être nourrir un espoir : pouvoir intervenir comme l’avait fait l’Italie pour empêcher la fermeture de l’usine de Bari, en co-finançant un projet industriel.
Mais le groupe a reçu des fonds européens importants comme les fonds d’aide au développement industriel pour s’implanter en Pologne et en Hongrie.
Oui, sans compter des aides à l’équipement et à la recherche. L’usine de Poznan, en Pologne, a été construite avec la participation de cadres de l’usine de Béthune et des ouvriers polonais sont venus se former à Béthune. Et c’est Poznan qui bénéficie des plus grosses lignes d’investissement depuis 15 ans. Pour vous donner un exemple, là où Béthune possède cinq moules, Poznan en dispose de 52 ! Plus que la concurrence de la Chine ou de l’Asie du Sud-Est, c’est celle qui a été créée de toutes pièces en Europe de l’Est par Bridgestone elle- même. Et les politiques qui crient au scandale aujourd’hui ont voté les crédits nécessaires à Bruxelles. Il faudrait creuser l’idée de Fabien Roussel qui propose une parité des aides. Si on accorde x millions d’euros dans une usine d’Europe de l’Est à bas coût, il faut en accorder autant en Europe de l’Ouest.