PCF Nord
Verbaudet

La répression syndicale en place pour casser la grève

par Alan Bernigaud
Publié le 19 mai 2023 à 16:47

Après neuf semaines de grève pour obtenir une augmentation de salaire, les salariés de l’usine Vertbaudet ont vu la répression contre leur mobilisation monter d’un cran. Une syndicaliste s’est retrouvée à l’hôpital après une tentative d’évacuation des forces de l’ordre tandis qu’un délégué CGT a été agressé chez lui.

À la violence sociale, s’ajoutent les atteintes physiques chez Vertbaudet. En quelques jours, la tension a connu un nouveau paroxysme à Marquette-lez-Lille (Nord) où l’entrepôt de l’enseigne de puériculture est au cœur d’une lutte pour la dignité. Un drame en plusieurs actes qui a pour toile de fond les fondamentaux de la répression syndicale. Depuis le 20 mars, les piquets de grève sont posés, dans une tension certaine entre bataille sociale pour obtenir une augmentation des salaires et désaccords en interne. Toujours prompts à intervenir quand il s’agit de diplomatie et de désamorçage de conflit, les forces de l’ordre ont fait une entrée remarquée dans la douloureuse pièce de théâtre qui se joue. Cela en deux temps. À commencer, le mardi 16 mai, par l’intervention remarquée par sa brutalité de policiers venus déloger ces perturbateurs. Claudia, 36 ans et mère de famille en rémission d’un cancer fait alors partie des grévistes présents ce matin-là. Elle sera évacuée par un policier zélé qui, selon les témoins, l’aurait «  attrapée par le cou et traînée » au sol. Mission réussie pour le gardien de la paix, puisque la salariée terminera sa journée à l’hôpital. Résultat, quatre jours d’ITT et une plainte contre ledit policier. Dans la foulée, la CGT dénonce « une entrave grave et d’une atteinte au droit constitutionnel de grève » tandis que la préfecture du Nord explique l’intervention par une réponse positive à la demande « d’expulsion de tout occupant illicite de son site » portée par la direction de Vertbaudet. Alors que la journée se passe sous le sceau de l’indignation syndicale, des réactions politiques et des tentatives préfectorales de désamorçage du sujet, le summum (actuel) de cette crise sociale intervient dans la soirée de la manière la plus lâche qui soit.

Au bon souvenir des barbouzes

Rentré chez lui après cette difficile journée de mobilisation, l’un des délégués syndicaux de l’entreprise a le droit à une visite surprise. « Trois hommes sont arrivés et m’ont agressé devant chez moi, sous les yeux de mon enfant. Ils m’ont attrapé, embarqué dans une voiture, menacé et volé mon portefeuille avant de me relâcher quelques kilomètres plus loin », nous raconte encore choqué le leader CGT qui préfère garder l’anonymat par peur que les représailles promises contre sa famille n’aient lieu. « Que la sécurité de ma famille soit menacée, c’est fou. Ils savaient des choses sur ma femme et mes enfants qui me font peur. » Aucune violence physique n’a lieu durant les quelques minutes que durent cette séquestration, le salarié expliquant que l’un des membres de ce commando a arrêté un autre qui allait le frapper. « Il lui a dit non, pas de traces. » Le salarié n’échappera toutefois pas à un gazage en règle. Révélée le lendemain par un communiqué virulent de la CGT Vertbaudet, l’affaire prend des proportions encore plus importantes avec les nombreuses indignations qu’elle suscite. Le délégué syndical émet l’hypothèse qu’il s’agisse de policiers en civil. La possibilité d’une expédition punitive est également évoquée, diligentée ou non par la direction de l’entreprise. Cette dernière a réagi en affirmant respecter le droit de grève et en condamnant ces violences. Si la victime ne souhaite pas porter plainte par peur, le Parquet de Lille s’est auto-saisi de l’affaire. De son côté, l’IGPN-la police des polices-a contacté d’elle-même le syndicaliste pour faire la lumière sur ces événements. Les réseaux sociaux, la classe politique (essentiellement du côté de la Nupes), les syndicats ou encore la Ligue des droits de l’Homme sont en ébullition. « Cette histoire est choquante et reflète un climat de violence qui nous inquiète depuis un certain temps. Il faut faire la lumière sur le sujet, mais dans tous les cas, les personnes chargées du maintien de l’ordre ont une obligation morale supérieure avec un devoir d’exemplarité. Et s’il s’agit d’un groupe d’extrême droite constitué, là il y aurait un véritable motif pour dissoudre cette organisation. Il faut regarder cette affaire avec prudence et ne pas s’emballer », tempère Alain Vantroys, secrétaire du comité régional de la LDH pour les Hauts-de-France.

Des salariés en « symbole d’une France qui souffre »

Avocat de la CGT, Me Ioannis Kapopoulos assure ne pas com- prendre «  la disproportion entre une demande justifiée de hausse de salaire par des salariés, dont aucun ne touche plus de 1 500 euros par mois et les violences observées. C’est un droit constitutionnel de faire grève, et ces personnes en lutte sont le symbole d’une France en souffrance face à une direction aux moyens financiers importants qui préfèrent le conflit plutôt que d’améliorer le quotidien de ses salariés par un geste dont l’enveloppe globale serait minime pour l’entreprise. » Appelant lui aussi au calme, l’avocat spécialiste des contentieux confie attendre les résultats de l’enquête pour ne pas envenimer la situation. En attendant et qui qu’ils puissent être, des barbouzes peu amateurs de lutte sociale veillent à maintenir un climat de répression syndicale. Pour autant, le syndicaliste agressé l’assure, « il est hors de question que je leur donne raison en arrêtant ce combat. »

Chronologie d’une lutte

La lutte des Vertbaudet a débuté le 20 mars dernier, peu de temps après que la direction a annoncé des profits records sans qu’il y ait eu de hausses de salaires. Les travailleuses payées au Smic, quelle que soit leur ancienneté, décident d’organiser un piquet de grève qui sera brisé par la police à plusieurs reprises. Le 14 avril, elles reçoivent la visite de Sophie Binet, leader de la CGT fraîchement élue, qui appelle au boycott de la marque. Le 25 avril, le syndicat saisit la justice pour recours abusif à des intérimaires en vue de briser la grève. Il sera débouté. Le 15 mai, deux syndicalistes sont interpelés et placés en garde-à-vue au commissariat de Lille. Le lendemain, s’appuyant sur un arrêté vieux de plus d’un mois, le préfet procède au démantèlement du piquet de grève. Une décision qui s’accompagne, selon les syndicats, de violences policières notables.