Réagissant à l’annonce de la fermeture de l’usine béthunoise, le président de Région, Xavier Bertrand dénonce les 120 millions d’euros prévus pour permettre aux salariés de rebondir et de retrouver des emplois sur le site. Pour lui, cette enveloppe est « dérisoire » et il faut la négocier à la hausse en s’appuyant sur l’exemple de Michelin lorsque le cas s’était présenté pour lui. Négocier cette enveloppe permettrait aux salariés « de se former, d’entamer une nouvelle vie professionnelle », dit-il. Et d’insister : « Je veux que, quand un ancien salarié de Bridgestone sera recruté par un employeur, Bridgestone paie une partie du salaire et des charges de départ. »
Vraie opportunité contre mirages
Mais ce que redoutent aujourd’hui les salariés, c’est qu’on leur repasse des plats froids, comme celui présenté, lors de la fermeture du site d’Arc International de Blaringhem, il y a dix ans. Il était alors question d’utiliser les grands entrepôts devenus vacants pour y installer une activité de recyclage de pneumatiques. Dix ans plus tard, le projet a fait flop et on a fait espérer les salariés sur un mirage.L’histoire pourrait bien se répéter lorsque l’on entend parler aujourd’hui, à propos de Béthune, d’une activité de recyclage de pneus ou de batteries. Ce n’est certainement pas ce que veut soutenir la députée du Pas-de-Calais Cathy Apourceau-Poly, très au fait du dossier. On le lit dans un communiqué qu’elle co-signe avec le secrétaire national du PCF et député du Nord Fabien Roussel : « Un seul projet doit nous mobiliser, maintenir la production de pneus à Béthune ! » S’agirait-il d’un autre miroir aux alouettes ? Les arguments plaidant pour un tel maintien semblent en tout cas très sérieux. La sénatrice l’a précisé ce 18 novembre lors d’une question orale posée à la ministre déléguée en charge de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher. Cette dernière avait d’abord prôné, lors de sa venue à Béthune en septembre, un projet de continuité sur le modèle qui avait prévalu sur le site italien de Bari en 2013. Le gouvernement avait alors confié l’étude du dossier au cabinet Accenture et Bridgestone apparaissait au centre avec une reprise soutenue par des aides de l’État et de la Région. Sauf que Bridgestone avait clairement dit et répété que, pour le groupe japonais, la seule issue demeurait la fermeture du site. Par ailleurs, la conjoncture actuelle n’est plus la même que celle de 2013. Résultat, le gouvernement a vainement donné de l’espoir aux salariés.
Quotas d’importation
Mais aujourd’hui, la donne a changé. D’abord, des quotas d’importation doivent être mis en place à l’échelle européenne dans un avenir proche. Pour parer à cette perspective, les producteurs non européens de pneumatiques auraient donc intérêt à implanter des unités en Europe. Le site de Béthune pourrait alors offrir une belle opportunité. Il est en effet moins compliqué de s’installer sur un site existant que de lancer un programme de construction, long et coûteux, alors que les quotas pourraient se mettre en place très rapidement. Par ailleurs, Béthune pourrait être une porte d’entrée intéressante en Europe. De son côté, Bridgestone avoue lui-même ne pas être opposé à une concurrence qui, de toute façon, s’imposera. Et la loi Florange du 29 mars 2014 veut que tout employeur d’une entreprise ou d’un groupe d’au moins 1 000 salariés qui envisage de fermer un établissement et de procéder à des licenciements économiques a l’obligation de rechercher un repreneur. Ainsi, en cas de projets sérieux, chaque partie pourrait y trouver son compte : le Japonais Bridgestone qui s’en tirerait avec les honneurs tout en respectant finalement ses obligations, l’État qui trouverait une solution sans être accusé de laisser tomber les salariés (surtout dans un contexte très tendu comme le montre encore l’actualité de Vallourec , les organisations syndicales et les salariés enfin dont le but est de sauver leur emploi.
Piste chinoise
Le Président Europe de Bridgestone a très vite affirmé que « quatre manifestations d’intérêt ont déjà été enregistrées ». Il en existe aujourd’hui au moins six. Mais surtout, Agnès Pannier-Runacher assure que l’un des repreneurs potentiels en serait déjà au stade de la prise de rendez-vous avec le producteur japonais. Il s’agirait du groupe chinois Linglong qui emploie 30 000 salariés répartis dans dix usines. Ce dernier annoncerait son intention de développer son activité à Béthune dès 2021. Il a du reste ouvert un site en Serbie où il a commencé à produire cette année. Deux entreprises indiennes (dont Apollo déjà implantée aux Pays Bas et en Hongrie), et une turque (le géant Lassa) se sont également fait connaître ainsi que des financiers qui seraient, eux, intéressés pour acheter l’usine et la revendre pour en tirer un maximum de profit. Les choses semblent donc avancer sur des arguments très concrets et le groupe chinois semble déjà faire figure de favori. De son côté, Bridgestone, qui possède un gros réseau de distribution basé sur l’entreprise Speedy, pourrait là encore être d’une grande utilité à un repreneur. Le Japonais pourrait par exemple se charger de la distribution d’une partie de la production.Reste à savoir qui va analyser les projets de reprise : Bridgestone seul, ou avec la participation de l’État ? Et selon quels critères ? Reste à savoir aussi comment pourrait réagir un concurrent comme Michelin. Pourrait-il amener l’État à refuser une telle solution ? Pour l’instant, telle ne semble pas être l’intention du gouvernement et de la ministre déléguée en charge de l’Industrie. Dans une conversation récente qu’elle a eue avec Cathy Apourceau-Poly, elle s’est assurée que l’arrivée d’un groupe étranger ne poserait pas de problème aux élus locaux. La sénatrice a souligné que Bridgestone est japonais et que son prédécesseur, Firestone, était américain.