A. B.

Les salariés de Valdunes : “Sauvons le savoir- faire national de l’équipementier ferroviaire !”

par Alan Bernigaud
Publié le 12 mai 2023 à 15:02 Mise à jour le 19 mai 2023

“Réindustrialiser la France, c’est créer du pouvoir d’achat” claironne le président Macron. Un effet d’annonce qui surgit au moment même où l’on apprend que les deux sites de l’entreprise de production de matériel ferroviaire Valdunes, à Trith-Saint-Léger et Leffrinckoucke (Nord), risquent de fermer.

« Les gars, essayez de réduire la fumée de votre feu. On est avec vous, mais le centre d’appel d’urgence reçoit des centaines d’appels, la ligne est saturée », la visite est amicale, mais les pompiers de Trith-Saint-Léger sont obligés de passer le message aux salariés de Valdunes, ce mardi 9 mai. Les palettes en bois brûlent devant l’entrée du site pour faire connaître, au loin, la lutte en cours. Cette journée pluvieuse est intense sur le site industriel où 250 ouvriers ont planté les piquets de grève – et la centaine de salariés du site de Leffrinckoucke – depuis le 5 mai pour dénoncer le retrait soudain de l’actionnaire principal, le chinois MA Steel. Une décision qui va précipiter l’entreprise vers le gouffre d’ici la fin de l’été si aucune mesure ou reprise n’a lieu. Tout comme les pompiers, la population locale soutient le mouvement. Preuve en est avec des banderoles, des visites des habitants ou les gâteaux fournis par la mairie. « Ça fait chaud au cœur de savoir que l’on n’est pas seul dans ce combat, mais le soutien que l’on attend le plus, c’est celui de l’État. Il peut sauver cette entreprise unique et doit se montrer ferme quant à notre avenir », ne cesse de répéter à ses collègues Maxime Savaux, salarié depuis 2007. Délégué syndical CGT, il le rappelle : « Cela fait des années que l’on avertit les pouvoirs publics. MA Steel a acheté Valdunes pour s’accaparer notre savoirfaire. Maintenant qu’ils l’ont eu et que 95 % de l’activité de Valdunes peut être retranscrite en Chine, ils nous lâchent. » Fleuron national et tête de proue de la sidérurgie du Nord, Valdunes est le dernier fabricant français de roues et essieux dans le secteur ferroviaire. Un savoir-faire de qualité qui a fait de l’entreprise le leader mondial durant des décennies. Mais, à la disparition du groupe Usinor, Valdunes est l’objet de plusieurs reprises sous divers pavillons étrangers et voit dans le même temps ses commandes diminuer. « Avant, la quasitotalité des commandes de roues et essieux de la SNCF, de la RATP et d’autres sociétés françaises passait chez nous. Maintenant, c’est devenu dérisoire, ils préfèrent importer leurs pièces de Tchéquie et de Chine. Il n’y a plus de solidarité et de reconnaissance du savoir faire, regrette Thomas Lebas, technicien ingénierie depuis 13 ans et membre de la CFDT. L’État doit intervenir en poussant les entreprises françaises à travailler avec nos usines et arrêter d’importer de l’étranger des produits que l’on fabrique pourtant en France. »

336 Nombre de salariés menacés de chômage en cas de fermeture. 4 Le nombre de mois de production que peut tenir Valdunes sans nouvel apport. 3 500 Le nombre de roues commandées par la SNCF en 2022, contre 45 000 en 2012.

“Avant, la quasi-totalité des commandes de la SNCF passait chez nous”

Une absence d’entraide qu’a également fustigée Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EE-LV, venue dans l’après-midi s’entretenir avec les grévistes : « Je sais que la SNCF n’est plus publique, mais qu’elle s’approvisionne à l’étranger au détriment d’une entreprise partenaire de longue date, c’est dégueulasse. On a besoin que soit défendue l’industrie française. » Aux côtés de l’écologiste, François Ruffin. Pour le député LFI de la Somme, le départ des actionnaires chinois ne peut se faire sans conséquences : « Si MA Steel veut conserver les brevets de Valdunes, elle doit continuer à produire ici. Et quand on est la France, ce n’est pas vrai de dire qu’il est impossible de faire plier une entreprise privée. Il y a besoin de remettre la souveraineté industrielle nationale avant l’exigence de la concurrence. » Quelques heures plus tôt, c’est le secrétaire national du PCF et député du Nord Fabien Roussel qui est venu soutenir les salariés. Il leur a exposé sa vision du dossier : « Cette entreprise est stratégique et on ne peut pas la laisser mourir. L’État doit intervenir en entrant dans le capital de l’entreprise. On nous parle de réindustrialisation et d’industries vertes, ça tombe bien, Valdunes coche toutes les cases de cette volonté annoncée. Alors si une telle politique est véritablement un choix, le gouvernement doit proposer une solution pérenne à cette entreprise. » Preuve de l’importance du sujet et de la force de frappe de la médiatisation, la direction de Valdunes a été reçue au ministère de l’Économie et des Finances dès le lendemain, le 10 mai. MA Steel en a profité pour confirmer son retrait complet, tandis qu’une réunion entre les représentants du personnel et le ministre en personne, Bruno Le Maire, s’est tenue le lendemain. « C’est un bon point, ça veut dire que la mobilisation paie. Il a affirmé que le dossier sera traité en priorité, mais on ne sait pas exactement ce que ça veut dire. Au même moment, notre directeur général se trouvait au tribunal de commerce de Lille pour demander un plan de sauvegarde. On espère que cela va favoriser l’arrivée d’un acheteur », confie la CGT. La mobilisation se poursuit ce vendredi 12 mai, les forgerons de Leffrinckoucke vont tenter d’interpeller le chef d’État en visite à Dunkerque. Enfin, ce samedi 13 mai à 10h aura lieu une manifestation de soutien organisée par Dominique Savary, maire PCF de Trith-Saint-Léger.

La parole des salariés...

Diego Crispatzu Salarié depuis 1993 et responsable réseau.

« Cette lutte représente la défense d’un savoir-faire français. À Valdunes, nous sommes les héritiers de l’industrie sidérurgique du Nord. Se battre pour nos emplois, c’est préserver l’industrie française. L’État doit nous soutenir et pousser les entreprises du rail français à commander leurs pièces chez nous, on n’a que des miettes et on doit prendre des contrats à perte pour maintenir l’activité. »

Kristelle Nortier Salariée depuis 1988 aux études informatiques.

« Si l’on espère que des repreneurs vont se manifester, pour l’instant on est déçu et en colère. On ne s’attendait pas à une telle annonce. Je pense qu’il y aura un rachat, mais pas forcément de toute l’activité, ni de tout le personnel. Les services supports comme celui dans lequel je travaille risquent d’être externalisés, ce sont les usines, le matériel et le savoir-faire qui peuvent attirer. »

Grégory Hannebique Salarié depuis 1994 en tant que contrôleur de process.

« On a déjà connu d’autres mobilisations, mais cette fois, c’est bien plus fort. Tout le monde est concerné et on attend des réponses concrètes. Les politiques s’investissent du dossier Valdunes, tant mieux pour nous, mais on reste dans le flou. Notre lutte est coordonnée avec celle du site de Leffrinckoucke et on espère attirer un repreneur avec le soutien de l’État. D’où l’importance de la venue de politiques de renom. »