Dans le Nord, un millier d'enfants ne sont pas placés ou sont mal placés.
Enfants placés

Nouvelle alerte des travailleurs sociaux

par Nadia DAKI
Publié le 4 novembre 2022 à 12:12 Mise à jour le 2 novembre 2022

Le syndicat Sud des personnels du Département du Nord tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme concernant la situation de la prévention et de la protection de l’enfance dans le Nord. Mais cette fois-ci, il est accompagné du syndicat de la magistrature et de celui des avocats de France.

C’est par le biais d’une tribune publiée il y a dix jours et signée conjointement par les travailleurs sociaux et plus précisément le syndicat Sud du Département du Nord, par des représentants syndicaux de juges et d’avocats que les acteurs entendent alerter le Département et les médias sur la situation des enfants placés ou à placer. Déjà, pendant l’été, Sud accusait le Conseil départemental de défaillances et se faisait l’écho d’une perte de sens dans un métier toujours plus difficile à exercer. « Dès le mois de juin, des collègues de Roubaix-Tourcoing ont exercé un droit de retrait partiel, relate Olivier Treneul, porte-parole de Sud. Le fait de rechercher constamment des places pour des enfants alors que celles-ci sont inexistantes crée un épuisement certain et impacte leur santé physique et psychique. Ils ont alors décidé de boycotter les audiences au tribunal et ont très vite été rejoints par les collègues de Valenciennes et d’Armentières.  » Une situation qui perdure encore aujourd’hui. Conscient de la situation, le Département publie, mi-juin, un plan d’action contenant une dizaine de mesures d’urgence. Il évoquait alors «  des difficultés de recrutement des professionnels de l’action sociale, de l’enfance et de la santé qui ont conduit à une situation difficile dans le domaine de la protection de l’enfance. »

Des mesures jugées très insuffisantes

Parmi ces mesures, la création de places d’accueil supplémentaires. Un pansement sur une jambe de bois pour Sud. «  Le Département évoque la création de 150 places en foyer d’ici fin février. On est très loin des besoins relevés sur le terrain. Dans le Nord, on estime à 1000 le nombre d’enfants pas placés ou mal placés, c’est-à-dire ballotés d’un endroit à un autre », précise Olivier Treneul. Cette tribune tripartite est une première en France selon la mémoire du syndicaliste. « Nous, travailleurs sociaux et médico-sociaux, juges des enfants du tribunal de Lille, toutes et tous professionnels de la protection de l’enfance et de l’assistance éducative. Nous, avocats et avocates en protection de l’enfance dénonçons d’une même voix l’état catastrophique de la chaîne de prévention et de protection de l’enfance dans le département du Nord et affirmons la responsabilité de l’exécutif du Conseil départemental. Ces enfants fragilisés par une situation familiale souvent chaotique, pour qui le lien de confiance à l’égard de l’adulte est fortement compromis, subissent une maltraitance institutionnelle conséquence de l’irresponsabilité de Monsieur Poiret (le président du Département, ndlr) et de son exécutif départemental », accusent-ils. Contacté, le Département indique qu’il ne commentera pas cette tribune. « Comment peut-on être à la tête de la plus grosse collectivité de France et répondre par le silence ? s’interroge Olivier Treneul. Malheureusement, il est sourd à nos sollicitations depuis plusieurs années. »

Des difficultés de recrutement

Dans son plan d’urgence, le Département évoque également le recrutement de 29 travailleurs sociaux et la création de 300 places en famille d’accueil. «  Aujourd’hui, il y a 2400 assistants familiaux dans le Nord, estime Olivier Treneul. Tous les ans, ce chiffre diminue car il y a des démissions et des départs à la retraite. Depuis le mois de juin, seulement 20 assistants familiaux ont été recrutés sur tout le département. » Même difficulté côté travailleur social. «  Ça ne se bouscule pas au portillon, le métier est trop abîmé, regrette le porte-parole de Sud. Les collègues en poste parlent d’un “travail de merde”. Ils en ont ras-le-bol de faire du bricolage alors qu’ils ont en charge un public particulièrement vulnérable. Ils sont empêchés de faire et cela génère une souffrance énorme. »

La prévention mise à mal

Dans le Nord, 10 000 enfants font l’objet d’une mesure de protection. « Ce chiffre est relativement constant. Ces deux dernières années il a augmenté d’environ 1000 enfants, notamment suite aux périodes de confinement », poursuit Olivier Treneul. Une situation qui aurait pu être mieux accompagnée si les moyens de prévention n’avaient pas été diminués. « On aurait pu amortir cette augmentation si la chaîne de prévention était suffisamment solide. Or, là-aussi, les assistantes sociales sont entravées dans leur travail puisque Monsieur Poiret a fermé les clubs de prévention.  »

Le soutien des avocats et des juges

Dans leur cri d’alerte, les travailleurs sociaux sont donc soutenus par d’autres acteurs primordiaux dans la protection de l’enfance : les juges et les avocats. Ils s’expriment ainsi dans la tribune : «  Les travailleurs sociaux ne sont pas responsables de l’absence de moyens en nombre et en qualité pour réaliser leurs missions ; ils dénoncent cette situation depuis des années sans être entendus ! Conscients des difficultés que leur décision engendre, ils et elles ne sont néanmoins plus en capacité de rendre compte lors des audiences, de la protection qu’ils et elles doivent garantir aux enfants. Les juges des enfants et les avocats sont, de leurs côtés, conscients qu’il ne s’agit pas d’une défiance à l’égard du travail qu’ils réalisent ensemble dans les situations mais que les travailleurs sociaux sont acculés et n’ont pas d’autre choix pour contraindre le Conseil départemental à rendre des comptes.  » Un courrier recommandé et un courriel ont été envoyés il y a une semaine au président du Département, à la vice-présidente en charge de l’enfance, la famille et la jeunesse, Marie Tonnerre et au directeur général des services, Benjamin Hus. « Ce serait bien qu’on soit enfin entendus », espère Olivier Treneul.