Zoé Breneur, vice-présidente de l'Anemf en charge des élus et de la défense des droits. DR
Les étudiants en médecine contre la quatrième année d’internat

« Plutôt que de déplacer les médecins, il faut libérer du temps médical »

par Philippe Allienne
Publié le 28 octobre 2022 à 12:12

L’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), qui représente les étudiants en médecine jusqu’à la fin de la sixième année, s’oppose à la mise en place d’une quatrième année d’internat (portant le cursus à 10 ans) et à la manière dont le gouvernement entend remédier au manque de généralistes dans les zones sous-denses (les déserts médicaux). Le gouvernement la mise en œuvre de cette réforme pour la rentrée de 2023. Les explications de Zoé Breneur, vice-présidente de l’Anemf.

  • Vous étudiez à Lyon, cependant vous étiez présente à la manifestation des étudiants qui s’est déroulée à Lille jeudi 20 octobre. Pourquoi ?

Il y a eu le 14 octobre des manifestations contre cette réforme dans plusieurs villes de France et une à Paris qui a réuni 3500 à 4000 personnes. Les étudiants lillois, qui étaient présents dans la capitale, ont souhaité en organiser une autre dans le Nord. L’Anemf est venue apporter son soutien.

  • Cette réforme est dans l’air depuis cinq ans et semble subir un coup d’accélération depuis que les ministres de l’Enseignement supérieur et de la Santé l’ont présenté, le 20 septembre, en Conseil des ministres. Quelles sont vos revendications ?

Il y a cinq ans en effet, le gouvernement d’Edouard Philippe a souhaité ajouter une quatrième année à l’internat de médecine générale qui est le seul jusque-là à ne fonctionner que sur trois années pour obtenir le Diplôme d’études spécialisées (DES). Sur cette question précise, les étudiants ne sont pas forcément contre parce que cela pourrait être une année de pédagogie supplémentaire permettant d’acquérir des compétences qui, plus tard, peuvent déboucher sur un meilleur projet professionnel. Le problème, on l’a vu apparaître dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de 2023. Celui-ci indique que cette 4ème année se déroulerait de manière ambulatoire à 100%, c’est-à-dire à 100% en études de ville. Et là, les étudiants sont contre car pendant la dernière année de l’internat nous sommes censés choisir le lieu du stage qui s’adapte le mieux à notre projet professionnel. Et il existe de nombreuses possibilités. Il n’y a pas que l’ambulatoire.

  • Mais vient la question des déserts médicaux qui posent un vrai souci sur le territoire. Pourquoi vous opposez-vous à ce point de la réforme ?

Quand le projet dit que nous devons faire la quatrième année d’internat en priorité dans les déserts médicaux, des parlementaires ont posé des amendements pour que ce doit non une priorité mais une obligation. Le sénateur Bruno Retailleau (LR)a déposé une proposition qui vient d’être adoptée au Sénat. Cette PPL n’oblige pas les internes en 4e AMG à aller dans les déserts médicaux mais les incite fortement. Voilà autant d’éléments qui expliquent l’opposition des étudiants en médecine et des syndicats d’internes. Il faut bien voir que, pour les internes actuels, il n’y a pas suffisamment de maîtres de stage pour les encadrer. Si l’on ajoute une année dans ces conditions la situation s’aggravera. Des internes vont se retrouver sans encadrant, surtout dans les zones sous-dotées où les médecins sont over-bookés, leurs plannings sont trop chargés. Il leur faut une formation pour être encadrant et étant donnée leur charge de travail, ils n’ont pas forcément envie de suivre cette formation ! Or, on ne peut envoyer un interne exercer s’il n’est pas encadré.

  • Il y a les « déserts médicaux » mais, d’une façon plus générale, on sait qu’il devient de plus en plus difficile de voir un médecin généraliste dans des délais courts et sans passer par la plateforme Doctolib. On demande aussi aux patients de ne pas encombrer les urgences et pourtant on les y envoie. Quel est votre regard ?

Le problème est que toute la France est sous tension. Quand on pense « déserts médicaux », on pense à des régions comme la Creuse. En fait, c’est 87 % du territoire qui est dans cette situation de manque. La faute en est au numérus clausus qui, à partir des années 70, a réduit le nombre de médecins prescripteurs. Quarante ans plus tard, les médecins partent en retraite et le numerus apertus mis en place depuis la rentrée de 2021 [officiellement la fin du numérus clausus et l’augmentation du nombre d’étudiants admis au concours – ndlr] permet une augmentation insuffisante pour pourvoir à leur remplacement. On est dans un creux. Les médecins qui doivent arriver sont encore en formation. On est donc dans un problème de nombre de médecins et non dans un problème de répartition.

  • Quelle est la solution ?

La solution pour remédier à cela n’est pas de forcer les médecins à aller s’installer dans un autre endroit. Déplacer un médecin d’une zone à une autre, par des mesures coercitives, va juste mener à déplacer le problème puisque la sous-dotation touche 87% du territoire. Nous pensons qu’il faudrait plutôt libérer du temps médical. Pourquoi ? Les médecins sont actuellement sous l’eau parce que, en plus de leur travail médical, ils ont un gros travail administratif qui leur prend énormément de temps. Il faut leur donner plus de temps pour accueillir les patients. Par ailleurs, la coercition voulant obliger les médecins à s’installer dans une zone précise pendant une certaine période, disons un an, aura des effets pervers. Il y a toutes les chances qu’au terme de cette année, le médecin souhaitera aller ailleurs. Donc, il sera très difficile pour les patients de bénéficier d’un suivi médical satisfaisant. Pour les maladies chroniques, c’est impossible.

  • On parle aussi de possibilité de conventionnement sélectif. Qu’en pensez-vous ?

C’est encore de la coercition. Certains politiques voudraient conditionner le conventionnement des médecins généralistes à leur acceptation d’aller dans un désert médical. En fait, cela risque de pousser certains médecins à se déconventionner et à faire des consultations non remboursables. Cela mènerait à une médecine à deux vitesses. Les patients aisés pourront se permettre de payer des consultations très élevées (jusqu’à 300 euros) tandis que les autres auront de plus en plus de mal à trouver des médecins conventionnés qui eux, seront de plus en plus en surcharge. Cela nous fait très peur. Etudiant en médecine égale médecin. Le conventionnement sélectif va à l’encontre du système de santé français.

  • Vous avez une idée du nombre d’étudiants en médecine qui laissent tomber en cours de route parce qu’ils n’en peuvent plus ?

10% des étudiants sur l’ensemble de leur cursus abandonnent à un moment ou à un autre parce que les études sont très éprouvantes. Il y a déjà eu deux réformes (pour le 1er et le second cycle), il y a beaucoup de stress, il y a de la précarité.

  • Dans le contexte de précarité étudiante que l’on connaît, quelle est la situation pour les étudiants en médecine ?

À partir de la quatrième année, les étudiants sont à mi-temps à l’hôpital (externat) et gagnent 2,20 brut de l’heure, soit 269 euros bruts par mois. Cela fait 219 euros net mensuels.

Selon l’intersyndicale des internes « Une année de déguisement »

Pour l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes en médecine générale (Isnar-Img), la quatrième année est « une année de déguisement pour une année d’exploitation supplémentaire des internes ». Interrogée par le magazine l’Etudiant, son président Raphaël Presnau souligne que les internes en médecine générale «  font déjà une année de stage en ambulatoire souvent, même si ce n’est pas obligatoire, dans des zones sous-denses  ». Une fois diplômés, les jeunes médecins généralistes effectuent principalement des remplacements et sont rémunérés comme des professionnels de santé et non plus comme des internes dont le salaire est fixé à 27 000 euros brut par an.