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Réforme du RSA : vers le travail gratuit ?

par Philippe Allienne
Publié le 8 mai 2023 à 16:58

C’est encore une promesse d’Emmanuel Macron, issue de sa campagne en 2022 : « accompagner » les allocataires du revenu de solidarité active. En réalité, il s’agit de conditionner le RSA à un emploi obligatoire non payé.

La Première ministre Élisabeth Borne l’a inscrite dans sa feuille de route. D’ici l’été, un projet de loi sur le plein emploi comportera un chapitre sur les conditions de versement du RSA. Jusqu’à présent, il n’était pas nécessaire d’être inscrit à Pôle emploi pour accéder à ce minimum. Si le gouvernement parvient à ses fins, ce ne sera plus le cas. Les demandeurs devront être inscrits à ce qui s’appellera désormais France Travail. Pour la plupart d’entre eux (ils sont environ deux millions en France), il faudra justifier de 15 à 20 heures d’activité pour toucher ce revenu d’un peu plus de 600 euros pour une personne seule âgée de plus de 25 ans et dès 18 ans sous certaines conditions. Lorsqu’il a été instauré en 2009, le RSA activité visait à apporter un complément de revenu. À partir de 2016, il devient une aide pour les personnes à revenus modestes. Celle-ci doit faire l’objet d’une demande préalable.

Il s’agit bien d’une nouvelle régression sociale

L’obligation de s’inscrire à Pôle emploi doit permettre, explique la Première ministre, de mettre en place un accompagnement adapté du demandeur. En clair, il s’agit de faire la chasse aux « fraudeurs aux allocations ». Quelques exceptions sont prévues comme les femmes seules avec enfants ou des personnes ne pouvant travailler pour raisons de santé. Mais dans l’ensemble, dénonce Martin Hirsch, ancien haut-commissaire gouvernemental aux Solidarités actives contre la pauvreté, il s’agit bien d’instaurer un « travail obligatoire sans salaire ». Pour celui qui a initié le RSA en 2009, il s’agit bien d’une « régression sociale ». Dès décembre 2022, le ministère du Travail a lancé une expérimentation dans 19 départements. C’est le nombre qui avait été retenu sur une quarantaine de candidats. Dans le Nord (130 000 allocataires et 80 000 dans le Pas-de-Calais), le président (LR) du conseil départemental, Christian Poiret, a immédiatement proposé la candidature du département en proposant de porter l’expérimentation sur des quartiers de Roubaix et de Tourcoing. Il balaie l’accusation de stigmatiser un territoire défavorisé en prenant le prétexte de résoudre ainsi la question des transports. Celle-ci constitue en effet un obstacle, parmi tant d’autres, à l’emploi. Pour Charles Beauchamp, président du Groupe communiste et républicain (GCR) du département, ce projet relève de la démagogie et de la volonté du gouvernement de faire oublier la réforme des retraites. « Que fait le monde économique ?, s’interroge-t-il. Les fermetures d’entreprises, les délocalisations, les licenciements sont le vrai problème. Par ailleurs, on ne peut dissocier la question des aides sociales du problème des rémunérations et du pouvoir d’achat pour ceux qui travaillent. »

Laisser-faire et pénalisation des victimes

Le président régional de l’association AC Contre le chômage, Serge Havet, ne décolère pas : « Je voudrais qu’on me prouve qu’un allocataire du RSA ne veut pas travailler. Le travail est un droit et les travailleurs doivent avoir le libre choix de leur emploi et de leur formation. » Le projet de loi ne va pas dans ce sens, bien au contraire. Contraindre les allocataires à accepter un emploi, quoi qu’il en coûte, revient à proposer de la main-d’œuvre non rémunérée aux entreprises. Cela conduit aussi à obliger des personnes qui ont fait des études supérieures d’accepter des jobs (manutention, parcs et jardins, hôtes de caisse...) très en dessous de leurs qualifications et reléguer encore plus celles et ceux qui ne peuvent prétendre à d’autres emplois.

La parole à

Valérie, 48 ans, allocataire du RSA

Je suis sans emploi après avoir travaillé en tant qu’AESH à mi-temps (accompagnement d’élèves en situation de handicap) pour 688 euros net par mois. J’ai fait d’autres boulots, comme standardiste par exemple. Je suis actuellement une formation pour être conseillère en insertion professionnelle. Il me manque un module et je dois attendre octobre pour obtenir ma qualification. Quand j’entends des gens qualifier les allocataires du RSA de fainéants, je leur demande s’ils connaissent le montant de ce qu’on touche. Ils s’imaginent que tout nous est offert. Ce n’est pas le cas. Personnellement, je touche 526,72 euros net de RSA. Même en déduisant l’APL, il me reste toujours 89 euros de loyer à payer.

Charles Beauchamp Président du Groupe communiste et républicain au conseil départemental du Nord

Lorsque Nicolas Sarkozy a été élu à l’Élysée, il avait déjà prétendu que les allocataires du RMI ne voulaient pas travailler et que le RSA allait les y obliger. Aujourd’hui, Emmanuel Macron reprend le même discours. Et comme Nicolas Sarkozy, il démontre une méconnaissance de la politique de l’insertion. Cela dit, il faut voir pourquoi les gens n’ont pas d’emploi. Cela s’inscrit dans un problème de formation qui relève de l’Éducation nationale. Mais il y a d’autres freins à l’emploi : la rémunération, les transports, la garde des enfants, la santé.

Serge Havet, président régional d’AC Contre le chômage

Les allocataires du RSA sont très nombreux à rechercher un emploi, mais ils ne trouvent pas. Leurs demandes restent le plus souvent sans réponse. Une association comme la nôtre aimerait embaucher et offrir, au minimum, des contrats aidés. Nous avons besoin de permanents, mais nous ne disposons pas des financements nécessaires et, de plus, les subventions habituelles sont en recul. Un contrat aidé coûte 13 000 euros, cotisations sociales comprises. Ce que nous voulons, ce sont des emplois dignes, décents et durables.