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PRÉCARITÉ ÉTUDIANTE

Une situation alarmante malgré la multiplicité des aides

par Nadia DAKI
Publié le 24 octobre 2022 à 12:32

Les étudiants, malgré leur jeunesse, sont confrontés à des difficultés multiples : logement, santé, alimentation. Ils ne sont pas épargnés par l’inflation qui plonge les plus fragiles dans une précarité importante. Malgré les dispositifs mis en place, les différents acteurs constatent que cette dernière est galopante depuis le Covid.

Avant c’était déjà pas la joie,lance Niel, étudiant et militant du syndicat étudiant Solidaires. Beaucoup d’étudiants sont boursiers à l’échelon max, le 7. Cela veut dire 550 euros par mois, on est bien en-dessous des 918 euros du seuil de pauvreté. Si on n’a que ça parce que les parents sont séparés ou ne peuvent pas aider, on ne vit de rien.  »

Une aide spécifique face à l’inflation

Une situation que le Crous de Lille connaît bien. «  Le Covid a accentué cette précarité qui existait déjà et que des professionnels comme nous ou des associatifs avaient déjà observée  », appuie Emmanuel Parisis, directeur du Crous de Lille. L’inflation installée depuis quelques mois n’arrange rien à la situation. « Les étudiants subissent davantage cette inflation car ils ne consomment essentiellement que des produits de base, ceux les plus touchés par l’augmentation des prix. Elle est de près de 7% alors que les bourses n’ont augmenté en septembre que de 4%  », met en perspective Niel. Une aide de 100 euros leur a été accordée en septembre.

La galère du logement

L’Université de Lille, avec ses 80 000 étudiants, a pris le problème à bras le corps. « La question de la précarité sous toutes ses formes nous préoccupe depuis longtemps, indique Emmanuelle Jourdan-Chartier, vice-présidente vie étudiante et de campus. Et ce, d’autant plus que 52% de nos étudiants sont boursiers et notamment à des échelons élevés, compris entre 5 et 7. On a fait le choix d’aider en priorité les étudiants primo-entrants pour aborder au mieux le choc de la rentrée. » Ainsi, un chèque de 250 euros a été remis à 3000 étudiants en première année dont la part fiscale est inférieure ou égale à 12500 euros. «  Le taux de réussite en L1 est beaucoup trop fragile, poursuit Emmanuelle Jourdan-Chartier. Cette somme est une aide pour qu’ils puissent s’installer sans être trop en difficulté car le logement est le premier point de précarité des étudiants. » « La précarité liée au logement est la plus structurante pour les étudiants, abonde le directeur du Crous. Nous disposons d’un parc total de 10 000 logements dont 60% restent occupés d’une année à l’autre. Donc chaque année, ce sont 4000 logements qui sont disponibles pour de nouveaux entrants. De plus, nous avons un parc vieillissant que nous réhabilitons actuellement. Et 300 logements sont en cours de construction. » L’autre indicateur fort porte sur les difficultés de paiement des loyers. « Il y a en effet une augmentation importante des impayés, constate Emmanuel Parisis. En 2019, ils représentaient 1,1 million d’euros. Pour les neuf mois de 2022, le montant s’élève à 1,5 million d’euros. La moitié des demandes d’aide d’urgence concerne le loyer. » Là-aussi, les demandes de cette aide ont explosé. Avant 2020, le budget accordé par semaine était de 15 à 20 000 euros. Depuis la rentrée, il est passé à 45 000 euros voire certaines semaines à 70 000 euros. «  On essaie d’accompagner individuellement ceux qui sont en grande difficulté mais c’est compliqué car parfois certains se retrouvent à la rue, relate Emmanuelle Jourdan-Chartier. Nous faisons le relai avec le 115 et les CCAS mais cela reste des solutions temporaires. » De nombreux dispositifs concernant l’alimentation et l’accès à la santé ont également été développés. À l’ULCO (Université du Littoral Côte d’Opale), l’association Humains & Terre qui distribue gratuitement des colis alimentaires a vu le nombre d’étudiants exploser. « En 2020, on distribuait entre 120 et 150 colis par semaine. Le 1er octobre, on était à plus de 350 colis. Il y avait même une trentaine de jeunes encore en attente. Les bénévoles présents ont constitué des paniers d’urgence avec leur denier personnel  », confie Nozha El Kassmi, membre du bureau de l’association. Les profils des personnes sont très variés : il y a bien évidemment une majorité d’étudiants mais il y a aussi des demandeurs d’emploi, des lycéens et même des collégiens venus avec leurs parents. « Ils nous ont tendu le certificat de scolarité. C’est très dur humainement  »,lâche Nozha El Kassmi.

L’alimentation et la santé, souvent négligées faute d’argent

Sur les campus de l’Université de Lille, des épiceries solidaires ont vu le jour. Et depuis 2020, le Crous a mis en place les repas à 1 euro dans ses restaurants universitaires. « Mais parfois il y a une queue de plus d’une heure. Et lorsqu’on n’a que 45 minutes pour manger, c’est juste pas possible  », regrette Niel. Malheureusement, lorsque les finances sont maigres, les étudiants ont des difficultés que ce soit pour se nourrir ou pour se soigner. « Quand on en est au point de compter chaque euro pour pouvoir se nourrir, la santé ne passe plus au premier plan. C’est d’autant plus un cercle vicieux qu’un petit pépin non pris en charge de façon précoce peut empirer et coûter plus cher au final », fait remarquer le militant de Solidaires étudiants. Des centres de santé accueillent les étudiants sur les campus de la métropole lilloise. On peut y trouver un médecin généraliste, un dentiste, un gynécologue. «  Il s’agit d’un public en terme d’âge particulièrement fragiles. C’est pourquoi nous avons aussi mis en place un conseil de santé mental en lien avec l’Agence régionale de santé, le Crous et les établissements publics de santé mental  », indique Emmanuelle Jourdan-Chartier. Un psychologue est présent dans les centres de santé.Malgré la multiplication des dispositifs et des aides, certains étudiants sont dans des situations très préoccupantes. C’est le cas des étudiants qui, sous l’effet de seuil, sont juste au-dessus pour pouvoir bénéficier automatiquement des bourses et des aides, car la plupart de celles-ci sont conditionnées au fait d’être boursier, informe le directeur du Crous. La situation est similaire pour les étudiants étrangers, affirme Niel. «  Certains étudiants, exclus des aides, sont en rupture familiale, d’autres ont des parents séparés. Ils ont néanmoins toujours la possibilité de les solliciter car nous étudions les demandes au cas par cas. Certains d’entre eux sont quasiment dans une situation de survie. La précarité étudiante est un problème structurel dû à un sous-investissement de l’Etat. C’est pourquoi nous demandons l’accès aux repas à 1 euro pour tous, sans aucune distinction, l’augmentation de 20% des bourses et l’instauration d’un salaire étudiant socialisé de 1063 euros par mois qui permettrait aux étudiants de vivre dignement. »